Le Pizzaiolo et la Diva : "David et Madame Hansen", le duo Astier-Adjani dans un film sur la maladie mentale

C’est sur ses terres que le roi Arthur est venu présenter sa dernière œuvre. Plus simplement, c’est à Lyon qu’Alexandre Astier a proposé sa première réalisation cinématographique à un public qui lui était acquis. Entre l’artiste et la cité des canuts c’est une longue histoire d’amour. Il y est né, il a tourné à proximité ses Kaamelott et il y réside toujours. Il n’a, d’ailleurs, pas fait beaucoup de chemin pour se rendre de son appartement au cinéma Pathé où avait lieu l’avant-première. Le pizzaiolo (c’est ainsi qu’il se décrit dans son film !) a présenté son œuvre en présence de membres de sa famille, d’amis et d’une salle pleine.

Avant même que ne débute son générique, David et Madame Hansen possède sa petite histoire qui s’intègre dans la grande saga du cinéma français.

Tout débute en 2003 après la vision d’un documentaire allemand, Une journée disparue dans le sac à main, qui montre la confrontation d’une vieille dame victime d’Alzheimer et d’un jeune ergothérapeute. La preuve, au moins, qu’Astier ne se contente pas de regarder les jeux télévisés ni les feuilletons américains. Il a trouvé le sujet de son film. Il cherche, en effet, à faire de « l’anti-Kaamelott » : une équipe légère, pas de décors lourds et, surtout, peu de personnages (la série en compte 107 !). La machine est lancée.

Après écriture du scénario, Astier présente le projet à Alain Delon. « J’avais envie de lui proposer un truc inédit, raconte-t-il. Il a dit oui tout de suite » L’acteur Alexandre Astier est ravi
d’affronter un professionnel de la trempe de Delon. Hélas, il méconnait la personnalité du guépard.

En septembre 2009, quinze jours avant le début du tournage, Delon annonce son retrait. « Il a expliqué qu’il ne voulait pas que je réalise et que je joue à la fois, alors que tout cela était prévu dès le départ. Je devais abandonner l’un ou l’autre de ces postes. Mais je pense qu’il ne s’agit là que d’un prétexte. Ce qui l’a inquiété c’est que j’avais trop de pouvoir puisque je suis aussi monteur du film. Il a eu peur que je me favorise, à son détriment. »

Exit Delon. Et, bien sûr, arrêt subit du tournage. Astier se pose des questions. Continuer ou pas ? Histoire de se changer les idées, il accepte de jouer aux côtés de Jocelyn Quivrin dans Les aventures de Philibert. Et Quivrin décède dans un accident de voiture. « Quand j’ai appris sa mort, je me suis dit qu’il fallait que je fasse mon film. Ce drame atroce m’a rappelé qu’il ne faut jamais perdre de temps. » Astier remet un coup de collier, joue presque distraitement dans Philibert, et part en chasse d’un autre comédien pour remplacer Delon. Il veut « quelqu’un qui l’impressionne » comme il dit lui-même. « Il me fallait plus qu’un acteur connu, il fallait une vedette qui apporte à l’écran tout son passé et tout son poids. » Ce sera une actrice : Isabelle Adjani.

La première rencontre a lieu dans un bar d’hôtel. Astier, impressionné, est dans ses petits souliers. « Elle était dans un coin, cachée, portant ses lunettes noires. Il était très difficile de savoir qu’elle était là tant elle se montrait discrète. Nous avons pris un café ensemble, nous avons parlé et, au fur et à mesure, elle a enlevé ses lunettes ». Adjani accepte. Bingo !

En septembre 2010, le projet est à nouveau sur les rails. Sous un nouveau titre puisque Monsieur Karlsson devient Madame Hansen. Précisément Madame Hansen-Bergman, le deuxième patronyme étant un hommage assumé à un certain cinéaste. Le Hansen peut être vu comme un clin d’œil à « en scène », tant certaines scènes sont volontairement théâtrales.

Astier s’attaque à nouveau à un gros morceau car Isabelle est, elle aussi, réputée pour ses exigences. Elle n’est pas star pour rien. « Ce ne sont pas les mêmes, précise Astier. Ses exigences à elle ne sont pas sur sa personne mais sur son jeu. Je dirais qu’elle a des exigences d’actrice alors que Delon a des exigences de mannequin. »

Mais le retard pris pour les prises de vue a une autre incidence : Bernard Giraudeau. Il devait jouer le docteur Reiner, supérieur de David incarné par Astier. Il meurt à son tour. « C’est la seule chose que l’attitude de Delon a enlevée. »

Les prises de vue débutent au printemps 2011. En Suisse (le village français de Bonneville fut relooké en village suisse !) et du côté d’Aix-les-Bains. Un tournage léger puisque seulement quatre acteurs principaux lancés dans une sorte de road-movie. David, ergothérapeute, escorte Madame Hansen en ville où elle doit acheter des chaussures. Cette dame souffre de troubles de la mémoire et attend des jours meilleurs dans une clinique de luxe. La simple sortie se transforme en longue  ballade dans laquelle sont entraînés la fiancée de David et le frère de celle-ci, qui viennent de perdre leur père. Les relations entre David et Mme Hansen sont tendues mais il cède néanmoins à certains de ses désirs dans l’espoir de déclencher comme un électrochoc…

« Le tournage était plus chaleureux que pour Kaamelott car, au cinéma vous n’avez à fournir qu’une minute ou une minute et demie utile alors qu’à la télévision c’est la montre qui est votre maître. »

Le courant entre Adjani et Astier passe. A quelques restrictions près : ils ne se tutoieront jamais. 

« J’ai grandi dans une famille d’acteurs et je n’ai vu que cela toute ma vie ; je n’ai jamais vu quelqu’un qui, comme Adjani, se déconnecte et se reconnecte aussi facilement. Un jour, elle recevait des appels téléphoniques en pagaille et je voyais qu’elle n’était pas bien. Nous étions dans un décor  de garage où l’accessoiriste avait placé plein d’objets. J’avais envie d’y improviser une scène. Nous étions en fin de journée, le plan n’était pas prévu, j’en parle à Adjani. En lui précisant bien que si elle ne veut pas le faire, ce n’est pas grave. Je lui raconte que les singes, quand ils prennent un objet humain, ne savent jamais comment le tenir et le regardent d’une drôle de façon. Adjani m’a dit qu’elle était d’accord et en un clin d’œil elle est redevenue le personnage. Au moment où j’ai dit "Action !", elle était totalement Madame Hansen et quand j’ai dit "Coupez !", elle est redevenue Adjani avec ses problèmes personnels. Vous appuyez sur On, ça fonctionne et sur Off, ça s’arrête ! Ce n’est jamais difficile de travailler avec les bons, il n’y a pas plus simple. »

Le refrain est connu. Systématique en pleine promotion. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Mais j’ai la faiblesse de croire en la sincérité d’Astier. Il avoue d’ailleurs continuer à être impressionné par celle qu’il dirigea durant plusieurs semaines.

Donc pour lui le travail se poursuit dans de bonnes conditions. Y compris lorsqu’il tourne une scène avec Adjani qui se situe… au fond d’une piscine ! Mais sans pull marine. « La scène était écrite dès la première version du scénario. Je n’avais pas fait le rapprochement mais on nous en a fait la remarque au moment de tourner. J’ai continué. Le possible hommage qu’elle représente ne nous a pas dérangés, ni Isabelle ni moi. »

Le réalisateur-acteur s’accorde quelques plaisirs personnels comme celui de conduire une Lamborghini Countach rouge. « C’était ma voiture star quand j’étais petit ! De toutes celles qui
étaient dans ma caissette à jouets, c’était celle à laquelle je prêtais le plus d’attention. Alors oui j’ai profité de mon statut de metteur en scène pour exiger cette voiture là et pas une autre ; oui j’ai profité de mon statut d’acteur pour me mettre au volant ! Ceci dit, c’est une voiture horrible à conduire quand on n’est pas pilote professionnel. Ce sont des tombeaux roulants ces voitures-là. J’ai eu la trouille de ma vie ! Ça se voit à l’écran.»

Le film est désormais terminé. Prêt à affronter le public. Il a, au moins, fait un chanceux : Alexandre Astier, trop heureux d’avoir réussi à accoler son nom à celui d’Adjani. « J’espère que mon film ne déméritera pas par rapport à tous ceux qu’elle a déjà inscrit à son tableau de chasse. »

Quelle que soit le succès de David et Madame Hansen, Alexandre Astier a de l’avenir. C’est un homme bourré de talents, un artiste complet. Il surprendra, c’est une évidence. Bourré d’idées aussi. Et d’envies : « Ce film a créé chez moi une envie de comédie à costumes ! » Pourquoi pas un mix avec la bête du Gévaudan (projet qui lui tient à cœur) perdue dans le royaume de Kaamelott et, en prime, Alain Delon en seigneur local ? Tout est possible, à condition qu’il arrête de visionner des documentaires allemands.

Philippe Durant

DAVID ET MADAME HANSEN
Un film d'Alexandre Astier
Avec Alexandre Astier, Isabelle Adjani
1h29
Sortie le 29 août

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