"Réincarnations, tome 1 : la fondation Kendall" : la quête scientifique du "pourquoi"

La science répond à la question du "comment", mais pas à celle du "pourquoi", qui reste du domaine des religions ou des doutes philosophiques. Partant qu'il y aurait un plan mystérieux conduisant à un but défini mais que l'homme ignore, Clifford Kendall, milliardaire collectionneur d'artefacts religieux, a mis en place une fondation aux fins de tenter de répondre à cette question. Il vient de s'approprier un manuscrit du XIIIe siècle, récemment découvert, et de s'offrir les services d'une épistémologue, Jasira Malher, que l'on va suivre et avec elle découvrir cette étrange fondation logée sur petite île perdue au milieu de l'océan.

Ce premier épisode met en place les éléments qui seront les lignes de force de la série : le but avoué de la fondation - et son but non avoué puisqu'il est aussi question de religion -, la présentation des personnages principaux (sauf un, encore mystérieux, qui cherche à acquérir les artefacts aussi bien que Kendall), la quête de la connaissance des desseins secrets de l'existence même. Et si l'aventure commence par la découverte d'un carnet secret du moine Roger Bacon (1214-1294), considéré comme le plus grand savant de son temps, cela augure de péripéties nombreuses, de sociétés secrètes (le moine était aussi un alchimiste et un savant proscrit, ce qui laisse rarement insensibles) et d'avancées scientifiques au-delà de l'intelligible. Mais comme le précise l'exergue de l'album emprunté à Gide : "la réalité de demain est faite de l'utopie d'hier".

Si le thème rappelle celui d'Expérience Mort, Réincarnation promets de nous conduire de découvertes en découvertes et de mettre la science (et l'épistémologie) au service d'un rêve, celui de la compréhension du mouvement primordial de toute chose, non pas dans son acception purement dynamique, mais quant à son dessein, cette question qui taraude les philosophes du "pourquoi quelque chose plutôt que rien" (de Platon à Leibniz notamment), c'est-à-dire un peu être Dieu. Mais Corbeyran sait bien qu'un scénario doit comporter des chausse-trappes, et Kendall promet de n'être pas si pur d'intentions qu'il le dit !

Réincarnations est porté par les dessins magnifiques (parfois les expressions sont un peu figées cependant) de Horne, qui exploite avec beaucoup de bonheur toutes les précisions du scénario de Corbeyran (1).  


Loïc Di Stefano

(1) Corbeyran nous confiait notamment dans un entretien :  "Mon scénario est construit de la manière suivante : je décris chaque case. Je fais une proposition de cadrage, de valeur de plans, et à partir de cette base le dessinateur fais la mise en scène qu'il a dans la tête. Je ne suis pas interventionniste mais je suis assez précis, page par page et case par case, tout a une valeur narrative en bande dessinée. C'est au scénariste d'impulser la narration mais cela reste une suggestion." 

Corbeyran (scénario), Horne (dessin), Simon Champelovier (encrage), Réincarnation, tome 1 : La Fondation Kendall, Delcourt, "machination", avril 2015, 216 pages, 19,99 eur

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