David Alliot, Céline à Meudon : Photogénie de l’Ermite

Céline sur un banc, tournant le dos à l’objectif et au monde entier. Voilà sans doute, en pages 104 et 105, le cliché le plus impressionnant.

Il y a aussi ceux où il se retranche derrière cette fruste table de travail, où un perroquet se fraye maladroitement un chemin parmi les liasses de manuscrits maintenues par des pinces à linge, et une théorie d’objets hétéroclites.

 

Il y a ces sourcils, froncés pour qui dérange, arqués et comme joyeusement stupéfaits à l’adresse de qui ne s’est pas encore rendu compte de l’ampleur du désastre. Le regard en dessous du « Souviens-toi de te méfier » ou celui qui couve, d’une tendresse rarement captée, un hérisson emmailloté. L’œillade de biais, à la limite du mépris, celle de l’épervier pour la proie sur laquelle il s’apprête à fondre. La vision prophétique, quasi hallucinée, perdue à des années-lumière du présent. La contemplation de celui qui, après avoir parcouru la « rubrique des Parques » du Figaro, s’installe, face au panorama, et applique le proverbe japonais : « Si tu as un ennemi, assieds-toi au bord de la rivière et attends de voir son cadavre passer ».

 

Il y a surtout ce contraste saisissant entre les jambes maigres, cagneuses, fragiles, flottant dans un pantalon informe, et la position de la main droite, à la grâce pour ainsi dire dandyesque, reposant négligemment, en sursis de la prochaine onde qui la galvanisera.

 

Surprendre Céline, dans son pavillon de la Route des Gardes, c’est entrer de plain-pied dans la mythologie troglodytique et clochardisée de la Littérature. Chaque portrait a fixé un mot, un grognement, un soupir, le bond d’un chat, un geste, pour une postérité ambiguë et subversive. L’intimité participe d’un rituel et l’acte de repousser une porte grillagée ou d’amener un vieux carton aux ordures y prend une dimension cosmique. Contrepoint du récit biographique et des témoignages divers de voisins, d’amis ou de visiteurs privilégiés, la photographie restaure un territoire immobile, traversé de voix et de musique, saturé d’émotion. Car ce à quoi il nous est donné d’assister, c’est à la mise en scène, tantôt narquoise, tantôt dépitée, d’une grandeur chancelante. La fatigue de ce qui fut l’énergie même. Un effondrement figé. Ici, la base et le sommet se rejoignent, le calme englobe les fulminations. Toute vêtue de noir et blanc, l’éternité fait ses pointes.

 

Frédéric Saenen

 

David Alliot, Céline à Meudon, Images intimes, 1951-1961, Préface de François Gibault, Éditions Ramsay, octobre 2006, 157 pages, 31 €

 

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