Fuir son âme selon Anne Sexton

Pour Anne Sexton la poésie est l’art du langage par excellence. Mais pas n'importe lequel : celui qui forclôt le sujet. En effet les mots du poème ne disent pas la vérité du sujet, ils l’écrivent plutôt en le jouant. 

Et la poétesse (dont c'est ici la première traduction en français) le pratiqua particulièrement en palindromes dont elle précise le sens à son psychiatre (le dc. Orne) : Si j’écris rats et je découvre que rats lit star à l’envers,  alors est-ce que star n’est pas vrai ?

Anne Sexton sait ainsi – comme Lacan – que les mots sont un jeu. Et ce jusqu’à ce qu’ils commencent à s’arranger de sorte qu’ils écrivent quelque chose mieux que je ne pourrais jamais le faire. Et d'ajouer : Tout ce que je suis est l’artifice des mots s’écrivant eux-mêmes.

Par eux elle remonta le fil de son mal (révélations sur les attouchements de la part du père ou les caresses ambiguës de sa grand-tante). Ces sortes d’aveux ne furent pas pour autant compensatoires. Ils ne semblent pas avoir produit chez elle des effets de vérité donc des effets sur le désir. Ils témoignent plutôt, comme sa vie érotique d’ailleurs, d’une pulsion dérégulée.  
Seule la réflexion écrite par la poésie rendait la limitation possible en fixant la mort sur la lettre. 

Beaucoup de ses poèmes traitent d'ailleurs de la relation à son père et de son amour pour lui. Mais l'auteure savait que ses poèmes ne pouvaiant pas résoudre ses problèmes. Ils donnèrent néanmoins aux femmes de multiples élairages mais cela n'alla pas sans que finalement Anne Sexton se donne la mort. Manière de répondre à sa propre injonction : Ma faim, Anne, Anne, / Fuis sur ton âne.

Jean-Paul Gavard-Perret

Anne Sexton, Tu vis ou tu meurs – Œuvres Poétiques 1960-1969), traduit de l'anglais (États-Unis) par Sabine Huynh, Des Femmes, janvier 2022, 320 p.-, 24 € 

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