-
Vous publiez Editeur, roman à clés sur votre expérience
professionnelle. C'est un exercice exutoire ?
S'il
s'agit bien d'un livre qui retrace une courte expérience au coeur du
monde de l'édition, il ne s'agit pas d'un roman à clés. J'ai
fabriqué mes protagonistes à partir de plusieurs personnages parmi
ceux que j'ai pu rencontrer puisque j'ai été (et je suis redevenu)
libraire d'ancien, que je possède une petite maison d'édition sous
la marque des Éditions de la pince à linge, que j'ai créé et
dirigé la collection "Céline et Cie" aux éditions Ecriture et
qu'enfin j'ai publié une douzaine de livres, romans biographie et
essais, depuis 2000. Je pensais donc avoir, à défaut de légitimité,
une certaine expérience de ce monde là. Je ne pourrai pas empêcher
que certains se reconnaissent à tort, car comment peut on se
retrouver dans de telles caricatures, puisque, ne l'oublions pas, mon
but est de faire rire d'un petit microcosme qui se prend très au
sérieux ? Quant à être un exutoire, le réponse est oui, d'une
certaine façon, parce que cette expérience de directeur littéraire
a tourné court alors que je m'y étais énormément investi, en
travail bien sûr, mais aussi parce qu'il m'a fallu fermer ma
librairie et abandonner le collection "Céline et Cie". Son arrêt pour
moi fut une immense déception, mais du point de vue humain, aussi
bien positivement que négativement, elle m'a beaucoup apporté. Ce
fut une aventure extraordinaire au sens premier du mot, puisque je
n'aurais jamais dû me retrouver là et je ne regrette pas de l'avoir
vécue.
-
Si l'on vous reproposait cette expérience, mais dans une maison déjà
assise et avec un vrai catalogue, vous y reviendriez ?
Oui,
parce qu'au delà des contraintes très nombreuses, il est
passionnant de découvrir un texte, un ton nouveau, de faire en
sorte qu'un roman encore imparfait soit corrigé par son auteur
jusqu'à ce qu'il devienne publiable. C'est un travail de polisseur
de bronzes ou de sage-femme qui aide à mettre au monde un enfant
qu'elle n'a pas conçu, mais le livre appartient entièrement à
l'écrivain comme un bébé à sa mère. Je le dis dans le Editeur!
une telle découverte est de l'ordre de l'orgasme intellectuel. Et
si une vraie maison me proposait ne serait ce qu'un poste de
directeur de collection, j'accepterai avec enthousiasme. En ce
moment, je suis en train de relancer ma librairie et de mettre sur
pied une galerie d'art, mais j'aimerais beaucoup refaire, si possible
dans quelques années, de l'édition : 4 ou 5 romans par an, choisis
selon mon goût et l'émotion qu'ils me donnent. Mais pour l'instant
les frais de stockage et de distribution sont trop importants pour
moi et je n'ai pas le temps nécessaire parce qu'il faut tamiser
énormément de minerais avant de tomber sur une pépite.
-
Qu'attendez-vous comme réaction de vos "personnages" ?
Vous n'êtes pas tendre avec eux et ils sont facilement identifiables
pour toute la profession...
Honnêtement,
je n'en ai aucune idée. Comme je vous l'ai dit, je ne peux pas
empêcher que certains veuillent mettre un nom sur des personnages de
fiction. Editeur ! est un roman grand public, qui n'est pas
écrit pour les 200 "professionnels de la profession" comme
dirait Jean-Luc Godard. Le lecteur lambda s'intéressera à la
manière dont fonctionne l'édition, par exemple peu de gens savent
quel est le rôle majeur de la distribution dans la vie d'un livre,
mais il ne va pas s'amuser à chercher qui et qui, d'autant plus
qu'il ne connaît pas ces gens là, il ne s'agit pas de vedette au
sens cinéma ou télévision. Donc cela fera peut être un petit
quizz amusant pour 50 personnes qui par ailleurs se
tromperont, les autres acheteurs éventuels s'en fichent. Dire que je
ne suis pas tendre est faux. J'ai essayé de donner à chaque
personnage un arrière plan qui l'humanise. Le héros du livre
Bernard Cisse a de nombreux défauts, mais il a été martyrisé
pendant son enfance, aussi a-t-il en permanence une revanche à
prendre sur la vie et sur les autres, ce qui le rend touchant y
compris dans sa façon de croire que l'argent permet tout. Son bras
droit Conchita Martinez y Gomez a, elle, des problèmes avec sa
sexualité…
-
Donc aucune crainte qu'un fâcheux ne vous fasse son petit procès
pour la gloire d'avoir été offusqué ?
Nous
vivons encore, heureusement, dans un état de droit : si quelqu'un
estime subir un préjudice, il peut toujours en demander réparation
devant la justice. On sait bien que la meilleure promotion pour
un livre reste le procès, car il sont rares et tous les journaux en
parlent faisant ainsi à bon compte la publicité de
l'ouvrage. Toutefois, mes personnages sont fabriqués à partir
de plusieurs expériences, Bernard Cisse réunit les qualités
et les défauts de trois éditeurs que j'ai pu côtoyer, à quoi
s'ajoute tout ce que j'ai inventé, son enfance par exemple. C'est
pourquoi il ne faut pas penser que je raconte mon bref passage dans
l'édition, il s'agit bien d'une fiction. Comme tous les écrivains,
je me nourris d'expériences autour desquelles je fabule et le but de
tout roman est de mêler le vrai et le faux sans que le lecteur
puisse deviner ce qui appartient à l'un ou à l'autre. Cependant, je
ne connais aucun personnage dans le petit microcosme germano-pratin
qui se promène vêtu en paysan breton et qui s'exprime uniquement en
alexandrins comme mon Génaouek, j'ai créé de toutes pièces
Conchita Martnez y Gomez. Lorsque j'ai écrit Le Manteau de la
Vierge qui s'inspire de l'histoire de ma famille, un de mes
frères, très mécontent, m'a fait une liste d'une page de ce qu'il
considérait comme des faits vrais que j'aurais dû taire, j'ai
rédigé de mon côté une liste d'une dizaine de feuillets de
situations totalement imaginaires. Il faut ajouter que j'ai pris le
plus grand soin de rester sur le strict plan professionnel, jamais je
n'évoque l'intime ou même le personnel. Si je devais être
poursuivi, ce que je ne crois pas, je ne vois pas sur quels éléments
un juge pourrait donner suite à la plainte qui serait sans doute
rejetée à l'instruction.
-
Votre roman n'est-il aussi une sorte de bréviaire pour éditeur
débutant ?
Il
s'agit plus d'une visite guidée que d'un bréviaire, je ne dis pas :
"Voilà comment il faut faire" mais "Voilà comment
cela se fait". C'est comme entrer un peu par hasard dans les
cuisines d'un restaurant. Je pense que les seuls conseils que l'on
peut donner à un éditeur débutant sont de se fier à son goût et
à son instinct et s'il veut survivre de réduire les frais généraux
au maximum et surtout ne pas courir après le best-seller qui le
rendra riche, il viendra tout seul, s'il doit venir. Souvenons nous
des éditions du Panama qui malgré, ou à cause, de l'énorme succès
de leurs Cahiers de vacances pour adultes, ont dû mettre la clé
sous la porte. Le métier de l'édition requiert beaucoup d'humilité
et plus encore de patience et, lorsqu'on publie un auteur, il faut
s'efforcer de le suivre, de lui permettre d'exister le plus longtemps
possible, même si les ventes sont décevantes. Ceci est très banal,
ce fut le principe du plus grand éditeur français, Gaston Gallimard
qui continuait de publier à pertes les livres de romanciers auxquels
il croyait jusqu'à ce qu'ils connaissent éventuellement un succès
populaire, Gide étant le meilleur exemple.
-
Vous donnez quand même du monde de l'édition une image assez
triste, tout étant fait de chausses trappes et d'ego
surdimensionnés, quand ce n'est pas la vulgarité du fric qui écrase
tout. Caricature aussi ?
Il
ne faut pas se voiler la face. Une maison d'édition est d'abord une
affaire commerciale qui, pour espérer être pérenne doit au moins
équilibrer ses comptes, même si c'est impossible pendant les
premières années de sa création. L'argent est donc, à juste
titre, un souci permanent. On publie des ouvrages, je pense à la
floraison actuelle des dictionnaires sur tous les thèmes y compris
les plus farfelus, aux horoscopes, au régime du docteur Machin, à
la méthode de gym de madame Truc la célèbre actrice qui se
contente de vendre son nom et sa renommée, qui, assez loin de l'idée
de création artistique, sont conçus et commandés uniquement pour
générer de la trésorerie. On sait aussi que le milieu, comme celui
des comédiens, est népotique et qu'être "fille ou fils de"
ouvre bien des portes, que le copinage fonctionne à plein, qu'un
journaliste connu pourra sans problème publier un roman médiocre ou
carrément nul et qu'on ira jusqu'à lui trouver un nègre s'il
s'avère incapable de le rédiger lui même comme c'est souvent le
cas. Et que penser des "mémoires" de footballeurs ou de
chanteurs de 25 ans ? Des souvenirs qui en sont à leur quatrième ou
cinquième mouture de tel présentateur de télévision? À une
certaine époque Bernard Pivot avait proposé d'appeler ces
productions purement commerciales des "lavres" plutôt que
des livres, mais c'est grâce aux rentrées qu'ils génèrent - à la
condition que le "coup" fonctionne -, qu'il est possible de
publier aussi des romans dont on sait d'avance qu'ils
seront déficitaires, or, ce sont ces romans, et eux seuls, qui
feront l'image de la maison, ils sont donc indispensables à un
catalogue. Une maison d'édition fait en permanence le grand écart
entre l'obligation de faire le plus de fric possible et l'image
artistique, sinon d'avant-garde, qu'elle doit donner à la presse et
au public si elle veut être prise au sérieux.
Quant
aux problèmes d'égo, ils sont permanents, un écrivain, un artiste
possède par définition, aussi faussement modeste qu'il veut
paraître, un égo démesuré, sinon, jamais il ne se dirait: "Je
vais peindre des tableaux qui seront exposés dans les plus grands
musées du monde" ou "Je vais raconter mes petites
histoires et je suis certain que cela va intéresser des centaines de
milliers de gens". Il en est de même pour les éditeurs qui se
voient comme des sourciers capable de déceler le talent là où les
autres de le voient pas, ils se vantent d'ailleurs tous de leurs
découvertes, d'avoir "sorti" untel ou unetelle. Tout comme
les critiques se pensent capable de distinguer le bon du mauvais et
jusqu'au graphiste qui à conçu la maquette d'une couverture qui est
persuadé que c'est grâce à lui que le livre se vend… etc.
Puisque
effectivement je revendique Éditeur ! comme une caricature, je
souligne certains traits, c'est ce que l'on pourrait appeler un
portrait-charge qui met en relief certains côtés assez peu
reluisants il est vrai d'un métier. On peut imaginer l'inverse, un
conte de fée où une jeune femme, très belle, très télégénique
(c'est indispensable), envoie à un grand éditeur un livre qui est
immédiatement pris, publié sans une correction et qui se vend dans
le monde entier à des millions d'exemplaires. Il n'y a là aucune
aigreur en moi, comme je l'ai dit, ce fut une expérience
extraordinaire dont le bilan est très positif. Mais,comme je suis
pessimiste par essence (voir mes romans plus "sérieux"),
je m'en tiens au mot de Billy Wilder, juif allemand, qui, après
avoir fuit le nazisme disait, parlant de cinéastes comme lui:
"Les optimistes sont restés à Berlin ils ont fini à
Auschwitz, les pessimistes sont partis, ils sont aujourd'hui à
Hollywood". J'ai le droit, je pense, de préférer ma vision des
choses, tout en sachant qu'elle n'est pas tout à fait exacte et même
parfois injuste.
0 commentaire