La Nation, la Religion, l'Avenir. Sur les traces d'Ernest Renan

Admiré par Gustave Flaubert aussi bien que par Charles Peguy ou par Victor Cousin, grand philosophe, philologue, essayiste et véritable bourreau de travail à l'esprit omniscient et toujours curieux, Ernest Renan (1923-1892) est le grand penseur du XIXe siècle mais il n'est plus guère lu de nos jours. Il quitte sa petite ville costarmoricaine de Tréguier sur la base de son mérite scolaire et intègre le petit séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris, où son esprit va s'éveiller. C'est un saut dans la modernité et dans la culture auprès de maîtres prestigieux qui vont l'ouvrir aux langues orientales et sémitiques. Cheminant d'un maître l'autre, il va se constituer un bagage culturel incroyable et précoce et s'imposer rapidement, après l'agrégation, comme un essayiste libre-penseur d'une rare acuité. 

La méthode de Renan est fondée sur un immense travail scientifique à partir duquel il examine le monde dans son actualité et dans ses fondations, d'où le titre de l'essai d'Hartog qui organise la pensée de Renan selon les trois moments essentiels de sa pensée.

Le travail scientifique de Renan sur la Religion, qui consiste essentiellement à pointer les contradictions et extraire l'humain du divin : 

"Dans un livre divin, tout est vrai, et, deux contradictions ne pouvant être vraies à la fois, il ne doit s'y trouver aucune contradiction. Or l'étude attentive de la Bible, en me révélant des trésors historiques et esthétiques, me prouvait aussi que ce livre n'était pas plus exempt qu'aucun autre livre antique de contradictions, d'inadvertances, d'erreurs. Il s'y trouve des fables, des légendes, des traces de composition toute humaine".

François Hartog met l'accent sur la dualité dans l'oeuvre de Renan, cette manière de voir à la fois les deux côtés des choses et qui produisit, par exemple, cette incroyable Vie de Jésus où il étudiait d'un point de vue historique et métaphysique les realia parsemés dans la Bible, au point de faire de Jésus un homme et de soulever la colère noire de l'Eglise. Mais son souci n'étais pas de s'opposer à l'Eglise, mais de poser les faits scientifiques. Tout comme il le fit avec l'Islam, dont il avait une connaissance approfondie et dans le texte original. 

François Hartog clôt son essai par une courte analyse du texte le plus célèbre de Renan, toujours beaucoup lu de aujourd'hui (le seul...), la conférence de 1882 à La Sorbonne Qu'est-ce qu'une nation ? Texte essentiel à toute conscience politique. 

 

"Ce qui constitue une nation, ce n'est pas de parler la même langue, ou d'appartenir à un groupe ethnographique commun, c'est d'avoir fait ensemble de grandes choses dans le passé et de vouloir en faire encore dans l'avenir."

 

Ernest Renan est en passe de redevenir le penseur de référence, sorti d'une période de disgrâce comme Sainte-Beuve quelques années avant lui.Sa pensée infuse largement et on en retrouve la trace, par exemple, dans les écrits politique de Michel Onfray ("sa" théorie de la fin des civilisation, "son" analyse de la vie de Jésus... bref, quasiment tout de ce qui détermine Onfray comme le philosophe qui brise les statues...). Et l'essai biographique de François Hartog, ce voyage sur les pas du penseur, pourrait bien devenir une introduction à l'oeuvre du chantre de la laïcité républicaine et d'un certain scientisme heureux. Bien sûr, il reste certains points sur lesquels Renan est instrumentalisé par ses détracteurs, comme ses positions sur l'Islam, et François Hartog, sans les éviter, met de la clarté dans ces pensées toutes faites d'une philosophie qui n'est connue que par quelques phrases prises au hasard. Lire Renan, cette grande conscience active à comprendre son siècle, voilçà le grand paris, réussi, de La Nation, la Religion, l'Avenir. Sur les traces d'Ernest Renan.

Loïc Di Stefano

François Hartog, La Nation, la Religion, l'Avenir. Sur les traces d'Ernest Renan, Gallimard, "L'Esprit de la Cité", mars 2017, 140 pages, 16 eur

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