Une histoire globale de la Grande guerre


Sous la direction de Jay Winter, historien américain de l'université de Yale et en collaboration avec Annette Becker, les éditions Fayard et la célèbre collection Cambridge History publient simultanément en France et au Royaume-Uni trois volumes qui vont vite devenir une référence sur la Grande guerre (1914-1918).

Le premier tome paru en octobre dernier traitait des fronts militaires sous le titre "combats". Le second sur les "États" en guerre est prévu fin avril 2014 avant un dernier opus très attendu également sur les "sociétés" durant le conflit.

D'abord, cette trilogie est passionnante à suivre pour la qualité scientifique de ses chapitres. À l'occasion de son centenaire, elle réunit en effet les meilleurs spécialistes de la Première guerre mondiale, sous la houlette du prestigieux Historial de la Grande guerre de Péronne (département de la Somme). On ne peut que conseiller par exemple la lecture de "la guerre sur mer" de Paul Kennedy (premier volume) qui renouvelle largement les connaissances sur ce théâtre d'opérations qui n'aura eu que peu d'impacts entre 1914 et 1918 contrairement à "son importance éclatante et incontestée tant dans les guerres révolutionnaires et napoléoniennes que dans la Seconde Guerre mondiale". Assez rapidement, la flotte allemande bloquée en mer du Nord (comme son alliée austro-hongroise dans l'Adriatique) par la supériorité navale de la Triple-Entente n'eut d'autre recours que l'utilisation des U-boote dont la reprise des hostilités deux ans après le torpillage du paquebot britannique le Lusitania en 1915 a entraîné l'entrée en guerre des États-Unis.

Par ailleurs, le principal intérêt du livre réside dans son approche transnationale d'un conflit qui a fortement marqué son époque par l'intensité et la violence des combats (70 millions de combattants mobilisés, près de 10 millions de morts), par la "guerre totale" qu'elle a engendrée et par son son extension géographique inédite à l'échelle du monde. Elle fut aussi un tournant majeur dans les relations internationales avec la naissance de l'URSS en 1922 et l'émergence de nouveaux pôles de puissance (les États-Unis et le Japon) qui ont profité de l'affaiblissement de l'Europe.

"L'histoire globale a le vent en poupe" (1).

Les historiens qui ont accepté de participer à cette œuvre collective appartiendraient selon Jay Winter à la "quatrième génération" des chercheurs sur la Grande guerre depuis 1918, celle qu'il qualifie de "génération transnationale". Il n'est pas certain que cette appellation soit du goût de l'historien allemand Gerd Krumeich, pourtant co-auteur du présent volume, qui a contesté avec vigueur l'illusion d'une histoire globale ou de sa méthode. Pour faire le récit de la Grande guerre, les échelles européenne et nationale seraient mieux indiquées selon lui (voir en particulier la controverse entre les deux historiens lors des XVIe Rendez-vous de l'Histoire de Blois en octobre 2013).

À l'inverse, pour Jay Winter, le transnational est pertinent parce qu'il offre "une expérience historique", "en-dessous et au-dessus du niveau national" comme le montrent les mutineries, l'histoire de la finance, celle des commémorations ou des mouvements révolutionnaires entre 1917 et 1921.

Les études d'histoire globale ont d'abord émergé dans le monde anglo-saxon (world history ou global history) dès les années 80. Ainsi, en 1982, naissait la World History Association qui publie le Journal of World History. En France, elles ont été plus tardives. On peut citer les travaux bien connus d'Olivier Pétré-Grenouilleau sur les Traites négrières. Essai d'histoire globale en 2004.

Mais de quoi parle-t-on au juste ? Pour l'historienne Chloé Maurel, "l'histoire globale apparaît comme un ensemble large de méthodes et de concepts, incluant plusieurs sous-courants comme l'histoire comparée [Marc Bloch], l'histoire des transferts culturels, l'histoire connectée [Sanjay Subramanyam], l'histoire croisée, l'histoire transnationale... Toutes ces appellations ne doivent pas être conçues comme des conceptions rivales, mais bien plutôt comme différentes facettes d'un tout" (2).

Il n'est pas anodin de replacer ces nouveaux champs de la recherche dans le contexte de la mondialisation (globalization en anglais) et d'une vision décentrée sur l'Occident (3). On voit d'ailleurs ce dernier point dans les nombreux chapitres consacrés dans ce premier volume aux aires généralement absentes dans l'étude de la Grande guerre : l'Amérique latine (texte d'Olivier Compagnon), l'Asie (Guoqi Xu) ou l'Afrique (Bill Nasson).

Si l'ambition de cette nouvelle histoire de la Première Guerre mondiale mérite d'être saluée, on peut regretter cependant les nombreuses coquilles qui parsèment le premier volume. On ne doute pas que les éditions suivantes corrigent le tir.

La Première Guerre mondiale, volume 1 : Combats, Fayard, octobre 2013, 816 p., 35 euros.

Traduit de l'anglais par Jacques Bonnet, Emmanuel Dauzat, Odile Demange et Sylvie Lucas.

1. Expression de Chloé Maurel dans Les cahiers d'histoire, n° 121, avril-juin 2013, p. 13, n° 121, avril-juin 2013, p.13.

2. Chloé Maurel, op. cit., p. 13.

3. Pour l'historien Romain Bertrand, "l'histoire globale se situe ainsi dans le prolongement critique des grandes entreprises d'histoire générale des "civilisations" lancées dans les années 1910-1930 sur fond de désillusion post-Première Guerre mondiale" in Christian Delacroix et alii (dir.), Historiographies, Gallimard, "Folio histoire", 2010, p. 367.

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