"Atatürk", le père de la Turquie moderne


Kemal, cet inconnu

 

On connait peu ou mal en France la figure de Mustapha Kemal (1881-1938). L’ « Atatürk » (littéralement le père des turcs) a en effet laissé une trace indélébile dans son pays, que l’historien américain M. Sükrü Hanioglu se propose ici d’analyser, tout en replaçant Kemal dans le contexte de son temps.

 

Le militaire

 

Kemal est né à Salonique, alors sous domination ottomane dans une famille de la petite bourgeoisie turque. Il subit les revers de fortune et de sa famille et choisit finalement le métier des armes. Pour  M.Sükrü Hanioglu, ces années de formation comme futur officier sont cruciales pour comprendre son action ultérieure, tant dans son nationalisme, sa fascination de l’Occident et son goût pour l’autoritarisme. Kemal assiste durant sa jeunesse à l’affaiblissement de l’empire ottoman. Il combat en Cyrénaïque contre les italiens en 1908, puis durant les guerres balkaniques. Même s’il y acquiert une réputation de bon soldat, il doit à chaque fois faire face à des défaites.  L’engagement de l’Empire dans la 1ière guerre mondiale  lui permet d’exercer des commandements dans les Dardanelles, où il contribue à la défaite des alliés, puis dans l’Est syrien. Le 30 octobre 1918,  l’Empire est à nouveau défait.

 

Le chef politique

 

Fort des liens qu’il a tissés avec le dernier sultan, Kemal attend son heure. Le traité de Sèvres (1920) annonce le dépeçage des restes de l’Empire mais aussi de l’Anatolie au profit des grecs et aussi des arméniens. Kemal organise alors la résistance et bat l’armée grecque. Le traité de Lausanne (1923) permet de créer un état turc beaucoup viable. Kemal décide alors de construire une nouvelle Turquie. Après avoir aboli le sultanat et le califat, il créée une République laïque, sur le modèle français. Mais l'Atatürk ne fonde pas une démocratie: le parti unique a sa préférence, sur le modèle soviétique et fasciste, du moins tant que le peuple n'est pas mûr.

 

L’imitation de l’Occident et la race turque

 

Son but, inspiré par le scientisme, est de créer un pays nouveau, tourné vers son identité turque et non plus musulmane. Nationaliste, il considère que  les turcs sont pour lui une « race d’élite », digne de l’Europe vers lequel il ne cesse de se tourner. Dans cet esprit, Kemal purge la langue turque des mots arabes et adopte l’alphabet latin, décide que le jour chômé sera désormais le dimanche (et non plus le vendredi comme le veut la tradition musulmane). Dans le même esprit, il donne le droit de vote aux femmes, avant la France. D’autre part, il célèbre le passé pré musulman de l’Anatolie, glorifie les hittites. Son nationalisme le conduira cependant à certaines élucubrations « racialistes »…

 

L’héritage de Kemal

 

Mustapha Kemal se voulait visionnaire et désirait transformer son pays : d’après M.Sükrü Hanioglu, il y a largement réussi (et a servi d’exemple pour d’autres dirigeants du monde musulman, comme Bourguiba en Tunisie). Cette biographie très intéressante est à découvrir, surtout à un moment où on lit, ici et là, que la Turquie actuelle renoue avec son passé impérial et  ottoman sous la houlette d’un dirigeant, Erdogan, qui s’est construit politiquement en opposition à Kemal et au « kémalisme »…

 

Sylvain Bonnet

 

M. Sükrü Hanioglu, Atatürk, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Emmanuel Szurek, Fayard, janvier 2016, 288 pages, 20 €

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