Hemingway : combien de femmes ?

Vous pouvez être perçu comme une force de la nature, un ours à la Orson Wells, vous n’en demeurez pas moins fragile, perdu voire terrorisé quand l’heure vient de vous retrouver tout seul. Non pas face à la page blanche qui n’a pas l’heur de faire faillir l’homme de lettres (quoique, sur les dernières années, il semblerait bien que la panne sèche, la perte d’idées soit à l’origine du geste fatal), mais c’est surtout dans la vraie vie que cela s’incarne. Ernst Hemingway a horreur de la solitude. Pire, il l’anticipe au point d’aller saborder ses mariages dans les bras de celle qu’il pressent comme potentielle future madame H. Si bien que la perversité de ce petit jeu qu’il reconduit dans l’espoir de s’ajuster à la contingence du moment lui éclate à la figure comme un ballon de baudruche qu’il aurait trop gonflé à l’hélium de sa superbe…
Car il était beau, ce jeune reporter sans le sou qui hante Paris au début du siècle passé, rayonnant, charismatique, élégant et un tantinet insolent, il ne laisse personne indifférent et c’est lui, lorsqu’il pénètre dans un lieu, qui impose le silence : même les hommes le regardent !

Porté par l’insouciance de sa jeunesse et son talent qu’il forge à coups de serpe dans ses manuscrits, imposant un style nouveau, Ernst Hemingway se marie très vite avec la jeune Hadley qui lui donnera son premier fils. Adoubé par les Fitzgerald, le jeune couple ira faire la fête sur la Côte d’Azur, au cap d’Antibes, buvant déjà au-delà des limites, oisif dans les apparences mais toujours collé à sa machine à écrire. Vie bohème qui le poussera à sombrer dans la facilité du miroir aux alouettes que brandissent les riches américains qui se pavanent sur la riviera. Pauline Pfeiffer va lui ouvrir toutes les portes, notamment celle de l’édition et ses premiers livres vont le conforter dans sa condition d’écrivain… maudit au début, ne vendant que quelques centaines d’exemplaires puis le succès arrivera, emportant tout sur son passage avec la guerre d’Espagne en corollaire de son besoin d’urgence, de danger, de vie trépidante si bien que la troisième madame Hemingway sera elle aussi une reporter de guerre, jeune fille rencontrée à Key West dans un bar, épousée puis oubliée dans la grande maison de Cuba et retrouvée à la libération de Paris pour mieux la perdre au profit d’une autre reporter de guerre, Mary Welsh, la dernière, l’ultime rempart contre l’angoisse qui le dévore de l’intérieur.

Magistralement porté par une écriture tout aussi précise qu’enlevée, ce roman historique, fruit d’un long travail de recherche, mêle histoire des lettres et histoire du monde, décortique les possibles blancs que seul le romancier peut apprivoiser sans tomber dans l’irrévérence et l’absurde, rendant ce récit crédible et ludique, tout aussi passionnant qu’intriguant, nous offrant de revivre quelques belles anecdotes croustillantes – à la libération du Ritz est une belle page d’Histoire !

François Xavier

Naomi Wood, Mrs Hemingway, traduit de l’anglais par Karine Degliame-O’Keffe, Folio n° 6649, mai 2019, 352 p. – 7,90 €
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