Fred Vargas : Retour de réclusion

Ah ! comme on aimerait pinailler, reprocher des vétilles, tarabuster cette auteure impudente ! Certes, il y a bien la faute de grammaire page 336 (« quelque épouvantables aient été leur aspect et leur dégradation » au lieu de : quelque épouvantables qu’aient été…) mais sincèrement, ce serait pour embêter son monde. Reste que l’on comprend dès la première lecture que l’important (importun ?) succès du dernier roman de Fred Vargas est mérité. Amplement mérité.

Parvenir à tenir en haleine la lectrice et même le lecteur avec une histoire de piqûre d’araignées relève en effet de la gageure la plus effrontée. Car qu’est-ce que la « recluse » mentionnée dans le titre ? Eh bien, Mesdames & Messieurs, c’est une araignée. Nous découvrirons par la suite que c’est aussi la femme emmurée, souvent maltraitée, violée, dont osaient s’enorgueillir certaines villes, au Moyen-Âge et plus tard, hélas… Réclusion sans crime, donc, réclusion non criminelle à perpétuité, qui touche autant la timide araignée que la femme opprimée.

Mais alors, qui tue ? Où est l’intrigue policière ? Voici : le commissaire Adamsberg, bien connu de tous les Français, mais aussi des Européens, des Américains, des Asiatiques, des Russes, des…, car Fred Vargas est traduite dans quantité de pays, le commissaire donc, qui maintenant produit en son cerveau « des bulles de gaz » alors qu’autrefois, dans les ouvrages précédents, il préférait « pelleter des nuages » (c’était plus joli), s’est mis en tête de trouver du crime là où il n’y en a pas – là où personne d’autre que lui n’en perçoit, en tout cas. Bien entendu, là où personne n’entrevoit du meurtre, lui subodore « murène sous roche », et ne se trompe pas.

Vient alors une enquête échevelée, longue, bourrée de dialogues documentés et juteux, telle la garbure que souvent il va déguster dans son restau favori, avec son commensal et labadens du Béarn, le jeune lieutenant Veyrenc.

Je profite de cette occasion inespérée pour signaler que je suis le premier auteur français, de romans policiers, entre autres, à avoir servi la garbure à mes lectrices, dans un restaurant marseillais où j’avais mon rond de serviette, lequel se retrouva dans Yugurthen, merveilleux polar de ma main paru au Seuil fin 2014. Que Fred Vargas m’ait emprunté la garbure ne me disconvient pas : je suis prêt à lui en offrir une autre louche !

On perçoit ici, bien sûr, la trace abjecte de la jalousie d’un auteur méconnu, gras, vieillissant et toutefois ingambe, à l’égard de la merveilleuse Fred Vargas qui est connue, jeune, belle et heureusement ingambe elle aussi. Mais comment ne pas être jaloux d’une telle réussite ?

À chaque fois, elle nous gratifie d’une intrigue compliquée mais parfaitement construite, de détails vraisemblables qui rendent cette invraisemblable intrigue vraisemblable, et finalement nous emporte dans son tourbillon, habilement dissimulé sous une couverture noire… Nous n’avons pas entre les mains un livre, si beau, si bien écrit soit-il : on feuillette un univers qui nous a pris et qui ne veut plus nous lâcher.

Cet été, gare au sable ! Quand on est sur la plage, on ne doit en aucune façon abîmer son Vargas.

Bertrand du Chambon

Fred Vargas, Quand sort la recluse, Flammarion, mai 2017, 477 pages. 21 €

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