Emile Guimet, découverte et passion de l’Extrême-Orient

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"…la joie de toucher enfin à ce pays presque fantastique que le XVIIIème siècle nous a fait deviner sur des laques, des paravents, des porcelaines et des ivoires…"
Ce pays qui se révèle au voyageur à la fois ému et enthousiaste n’est rien moins que le Japon, une fabuleuse contrée encore mal connue pour l’époque. Cet explorateur des cultures orientales n’est autre qu’Émile Guimet (1836-1918), celui qui a fondé en 1889 à Paris le magnifique musée qui porte son nom. Selon ses mots, « les nouveaux moyens de locomotion ont tout d’un coup mis à notre portée » cette terre lointaine qui a aimanté son intérêt et celui d’autres grands voyageurs-écrivains comme Pierre Loti, Paul Claudel, plus tard Albert Londres. Éautant dans les religions que dans l’archéologie, industriel philanthrope désireux de voir le monde, "fou d’Asie" comme Hokusaï se disait fou de dessins, Émile Guimet est aussi savant qu’il est autodidacte.

Mais Guimet ne voyage pas pour satisfaire un simple goût de l’ailleurs. Ajoutant à ses connaissances philosophiques et religieuses un vaste savoir en histoire de l’art, il est parti pour étudier, observer, comparer, faire connaître l’Asie à ceux qu’elle fascine. De son Grand Tour oriental, à l’instar des artistes anglais qui au siècle précédent accomplissaient leur Grand Tour en Italie, Guimet rapporte ce qui constituera une extraordinaire collection.

"Je sentais que ces objets que je réunissais restaient muets et que pourtant ils avaient des choses à me dire mais que je ne savais pas les interroger." Ses réflexions sur l’Égypte le conduisirent naturellement vers cet autre continent plus à l’est. Ses carnets ne sont pas seulement des récits exotiques qui décrivent paysages, lieux, gens et coutumes, ce sont des textes qui portent des pensées profondes sur le sens des sociétés, sur leurs liens dans le passé, sur le rôle des civilisations.

Il voyage avec un compagnon singulier, Félix Régamey, un artiste au trait sûr qui aime caricaturer et illustrer des ouvrages, qui a le don de peindre à la manière des maîtres japonais comme on le voit dans Okoma, son roman conçu d’après Takizava-Bakïn, préfacé par Guimet lui-même, orné de délicates scènes typiques et vivantes comme le sont celles d’Hiroshige.
C’est lui qui tient le journal de leur itinéraire sur la célèbre route du Tokaidô. Ils voyagent en pousse-pousse, en palanquin, en train, à cheval, parcourent ensemble des milliers de kilomètres. Régamey fait des portraits, décrit une scène de Kabuki et une Conférence au Kenninji de Kyoto tandis que Guimet rencontre les hauts représentants du Shintoïsme et du Bouddhisme sans cesser de "bibeloter", ce qui chez lui ne veut pas dire l’achat de souvenirs futiles ou de bibelots quelconques mais d’estampes, de manuscrits, de statues dont l’intérêt est capital pour enrichir sa compréhension du monde nippon.

Dans les Promenades japonaises, Guimet écrit : "A travers cet entassement de merveilles, le visiteur éprouve une sorte de vertige, il y a un moment où l’on se demande quand va finir la série des étonnements, quand va finir la série des ascensions ; il semble que c’est au ciel que tout cela va aboutir et les pèlerins impressionnés peuvent de bonne foi se croire en route pour le paradis."
Guimet écrit encore : "Les Japonais qui enregistrent avec grand soin les faits historiques n’oublient jamais de prendre note de l’aspect du décor où se passe l’action. Amoureux comme ils le sont des beautés de la nature, ils ne peuvent séparer le fait du paysage ; de même qu’ils se souviennent des costumes que portaient les héros de leurs chroniques, ainsi que la décoration des appartements où les évènements ont eu lieu. Ce peuple artiste a mis son histoire en tableaux... Il y a certaines vues de pruniers en fleurs, de brouillards sur les montagnes, de feuillages roussis par l’automne qui sont fatalement destinés à encadrer des faits historiques devenus populaires autant par la beauté de la mise en scène que par l’intérêt des situations."

Avec de tels guides, le lecteur comme le visiteur de l’exposition que ce livre accompagne perçoivent la force de ce qui a été un choc culturel pour eux comme il le demeure toujours pour l’œil occidental, à son tour séduit par cette esthétique particulière propre au Japon, cette concentration des signes et des formes qui génère comme une expansion des sensations et des charmes.
Rédigée par deux témoins qui saisissent l’essence et le génie d’un peuple, cette chronique de voyage élégamment illustrée prend la valeur d’un document d’un rare intérêt.

Leur aventure se poursuivra en Chine, mais notablement moins bien qu’au Japon, Guimet se heurtant "à l’indifférence des mandarins".
Félix Régamey donne cependant avec son talent descriptif des vues très évocatrices de la vie sociale chinoise (Un concert dans l’entrepont d’un bateau chinois, gravure de 1879 ; Bonzes dans un réfectoire à Canton, huile sur toile de 1888).

Enfin ce seront Ceylan (Le Temple de la Dent de Bouddha à Kandy) et l’Inde. Plus qu’une fabuleuse odyssée  qui aurait enchanté Jules Verne, voilà le récit d’un véritable périple effectué par un humaniste curieux des autres et de leurs croyances.  

Dominique Vergnon

Sous la direction de Cristina Cramerotti et Pierre Baptiste, Enquêtes vagabondes - Le voyage illustré d’Émile Guimet en Asie, 22 x 28,5 cm, 180 illustrations, Gallimard - Musée national des arts asiatiques - Guimet, novembre 2017, 256 p., 39 euros.   

 

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