Le Souilleur de femmes d'Oxford, de Gary Dexter : Sex and the Mystery

Le dessin de couverture, détournement de la caricature anonyme de Sigmund Freud intitulée "What's on a Man's Mind", universellement connue (on y voit le visage et le cerveau du Docteur vampirisé par des femmes nues dans des poses lascives), donne déjà le ton. Celui de la parodie et de la satire. Ainsi convient-il de lire ce Souilleur de femmes d'Oxford au second degré. Les Anglo-Saxons excellent, on le sait, dans le nonsense et l'humour décalé. Ce livre en apporte une nouvelle preuve.

 

Avatars inattendus de Sherlock Holmes et de son fidèle Watson, un  détective, le Dr Henry St Liver et la journaliste-écrivain Olive Salter, qui éprouve pour lui de tendres sentiments, mènent des enquêtes policières dont huit nous sont ici relatées par les soins de Miss Salter. Il n'y manque même pas le pendant de l'inspecteur Lestrade, qui s'appelle Pelham Bias. Celui-ci ne redore guère le blason de Scotland Yard. Nous sommes à la fin du dix-neuvième siècle, à l'époque d'Oscar Wilde. Lequel figure, du reste, en personne, en filigrane de plusieurs récits et dans un des chapitres où l'auteur lui prête un article (apocryphe) de critique littéraire. Bien entendu, ce sont ses penchants, ceux pour lesquels il subira les rigueurs de la geôle de Reading, qui lui valent de figurer dans ce roman - ou plutôt dans ce qui s'apparente davantage à un recueil de nouvelles dont seuls les deux principaux protagonistes seraient récurrents

 

Jusqu'ici, rien d'exceptionnel ni même de surprenant. Sinon que St Liver use de méthodes bien particulières et que les énigmes qu'il résout avec une maestria digne du violoniste enquêteur du 221 B, Baker Street, ont toutes un point commun : le sexe. Ses particularités, ses déviations et ses perversions. Telle est la passion de cet expert d'un genre insolite, par ailleurs d'une parfaite correction et lui-même irréprochable.

 

Il n'ignore rien des théories des sexologues et les met en oeuvre avec succès dans ses investigations, suscitant l'admiration de son assistante. Laquelle, pour être affligée de maintes affections physiques (elle souffre périodiquement "de migraines, de chlorose, de crises d'asthme et de dyspepsie liées à la vie littéraire à Londres", sans compter "d'autres  troubles divers plus localisés"), ne s'intéresse pas moins à l'érotisme. Même si les relations, avec son mentor, de cette parfaite antithèse du Dr Watson demeurent platoniques. Tout permet, du moins, de le penser - sauf à supposer que Gary Dexter, à l'instar de Conan Doyle, ne  nous révèle pas tout sur les moeurs de ses héros, ce dont certains, comme on sait, n'ont pas manqué  de soupçonner ce dernier...

 

Quoi qu'il en soit, St Liver se trouve confronté à divers cas plus ou moins aigus de perversion. On croise une jeune nonne s'adonnant avec frénésie à l'auto-érotisme (qu'on se rassure, elle se défroquera), une vénérable directrice de pensionnat soucieuse de procurer une jouissance symbolique à son fils handicapé, un scatophile frénétique. Sans compter, mais c'est plus banal, un voyeur impénitent, un masochiste plus ou moins fétichiste et un lord exhibitionniste.

 

Chacun relève d'une pathologie dûment référencée dans les ouvrages savants. Ce qui permet au détective de les confondre et à sa collaboratrice d'accroître son expérience des diverses manifestations de l'érotisme dans le monde, elle qui a déjà commis un livre à succès sur ses expériences de vie "naturelle" dans l'Australie profonde.

 

Tous ces détraqués appartiennent à l'aristocratie ou à la grande bourgeoisie, quand ils ne sont pas membres d'un cercle catholique d'illuminés. Nullement le fruit du hasard. A l'évidence, l'auteur choisit ses cibles. C'est l'Angleterre victorienne qui est visée à travers elles, et ses perversions dissimulées sous le masque de la respectabilité. La satire reste toutefois légère. Plus suggérée qu'affirmée. Elle n'en est que plus redoutable.

 

En revanche, à travers ses histoires à l'intrigue et au dénouement rocambolesques, Dexter vise directement les théoriciens de la sexologie. Il s'en explique en ces termes : "Avant que Karl Heinrich Ulrichs, Magnus Hirschfeld, Iwan Bloch, Albert Moll - tous allemands, tous extravagamment barbus - s'en occupent, la sexualité n'avait jamais été étudiée avec une telle indépendance d'esprit ou plutôt avec une telle obstination. " De quoi exciter la verve d'un romancier.

 

Celui qui l'a surtout marqué est le médecin et anthropologue britannique Henry Havelock Ellis, ami et correspondant de Freud, auteur des Etudes de la psychologie sexuelle en sept tomes copieux. Son St Liver lui emprunte plus d'un trait. Sa façon de dénouer l'écheveau des énigmes qui lui sont soumises repose sur les thèses avancées par le sexologue, thèses que l'auteur se fait un plaisir d'énoncer avec un flegme et un sérieux imperturbables.

 

Les pires bizarreries de comportement en acquièrent une incontestable dignité scientifique. Ainsi, dans un chapitre intitulé "Le Jeune Explorateur", dans lequel un éphèbe noir est retenu prisonnier, apprend-on que "la conquête sexuelle et la conquête géographique ne sont pas si différentes". D'où l'hypothèse, qui se révèlera fructueuse, que "notre jeune homme est retenu prisonnier par un africanophile obsessionnel qui le force à rejouer symboliquement la conquête du continent noir." Elementary, my dear Watson !

 

Jacques Aboucaya

 

Gary Dexter, Le Souilleur de femmes d'Oxford et autres cas mystérieux du Dr Henry St Liver, traduit de l'anglais (Royaume uni) par Thierry Beauchamp. Le Dilettante, octobre 2012, 288 pages, 20 €

 

1 commentaire

Cet excellent livre décadentissime comme Oscar Wilde est un des grands ignorés de notre rentrée littéraire confite en nullités destinées au pilon.