Georges Bataille : « Dirty » ou la suffocation

                   

 









Dans « Dirty » (au nom choisi à dessein)  Bataille met en scène  l’auto-humiliation en public. Ou si l'on préfère  l’excès du «  mal » qui le fascine et ressort de ce que certains qualifièrent de sa « littérature de fou ». Le texte est un de ses récits les plus transgressifs. Il est constitué de deux scènes d’exhibition. D’abord celle de Dirty elle-même. Elle montre dans un bouge de Londres son sexe en jetant à terre l’argent de ses voyeurs. Elle est suivie d’une scène mémorisée.  Sa mère (désormais défunte) défèque et urine « les jupes en l’air » devant les loufiats d’un palace londonien avant que sa fille - après cette évocation - vomisse par la fenêtre du même lieu devant son ami (Léon) affolé et inerte. La figure maternelle est grotesque. Quant à l’« horreur des besoins animaux » (coït et déjections) Dirty les transgresse en exhibant ses orifices : main glissée « dans la fente du derrière » puis sa bouche expulsant des rejets.

Toute extase ou jouissance sont évacuées au « profit » de l’horreur et de la honte. Le seul érotisme est celui de l’angoisse qui fait paradoxalement  découvrir  des « objets » horribles, honteux, violents, convulsifs. La sécheresse du texte souligne a contrario l’extravagance des conduites narrées. Tout se fomente sur la notion d’opposition : bouge  / palace, robe de haute couture / merde, beauté / répugnance, maîtres / serviteurs, parfums / puanteur, femme agissante / hommes passifs. Dans cet univers Dirty garde néanmoins et ironiquement une « candeur intacte » . Elle s’associe à la vision d'hommes dérisoires qui la poussent à un rire terrible, en rien communicatif mais signe de l’angoisse et de la solitude.

Luttant contre les évidences Bataille explore ici (comme dans « L’histoire de l’œil » ou « Le bleu du ciel ») les voix et voies souterraines par une mise en excès en conformité à ce qu’il écrit plus tard, « j’eus vite l’impression de différer en raison d’une violence fondamentale qui me portait ». Il donne accès à de « nouvelles visions » qui paraissent autant pornographiques que ridicules, fantastiques qu’hystériques. Elles prouvent la réversibilité entre éros et thanatos. La femme la plus souterraine ose s’exhiber, tente de braver l’impossible, détruit toute métaphysique. Sans but prédéfini et conscient elle ne défend rien sinon la souffrance, sa destruction, son propre chaos, ses abîmes, sa perte. Le texte la traduit en une puissance paroxystique : la bouche comme le sexe deviennent les potlatchs signes de la dépense somptuaire agonistique qui renvoie le voyeur plus que celle qui se livre à tous les excès à l’infériorité et à la déchéance.


Jean-Paul Gavard-Perret

Georges Bataille, « Dirty », Derrière la Salle de Bains, Rouen, 10 E., 2014.


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