Jean-Claude Raimbault compare six éditions d'un même dictionnaire et nous offre un voyage "d'un dico l'autre"

Oui, je sais : il y a des linguistes qui ont horreur de voir les non-linguistes parler du langage ou des langues. Je ne suis pas de ceux-là : les langues, et spécifiquement, pour nous, la nôtre : le français, c’est un bien commun. Tout le monde a le droit d’en parler. À ses risques et périls, bien sûr.

Jean-Claude Raimbault n’est pas linguiste, au sens professionnel du terme : j’entends qu’il n’est ni professeur de linguistique, ni chercheur en linguistique. Il le laisse entendre lui-même : quand il parle des termes techniques de la linguistique (spécifiquement le fameux métalangage, si mal vu par Maurice Druon), il emploie la 3e personne pour désigner « les linguistes ».  Il s’est attaqué à un problème passionnant : celui de l’évolution de la langue, prise sous l’aspect de son lexique, pendant le siècle qui vient de s’achever. La méthode qu’il a choisie est excellente : il a comparé six éditions (1906, 1929, 1940,1952, 1972, 2002) du « même » dictionnaire (il ne dit pas lequel, mais on le devine aisément : c’est le « petit Larousse », dont la première édition est datée, justement, de 1906, quoique publiée l’année précédente). Et le résultat est, vraiment, très honorable.

Il faut lire ce livre comme l’auteur, sans doute, le souhaite : au pas nonchalant d’une promenade amusée et, souvent, surprise, dans l’univers des mots. De tous les mots : ceux qui ont disparu du dictionnaire – très nombreux –, ceux qui y sont entrés, parfois pour en sortir bien vite, ceux qui ont changé de sens. Savez-vous ce qu’est, enfin ce qu’était, un lapin monaut ? Eh bien la pauvre bête n’avait qu’une oreille ! Le monsieur qui langueyait, vers le début du siècle, que faisait-il au juste ? Il surveillait la langue des porcs pour s’assurer qu’ils étaient sains. À moins qu’il ne garnît de languettes métalliques les tuyaux d’orgues : magnifique exemple de polysémie. Las ! Langueyer ne figure plus dans le Petit Larousse (mais bien sûr il trône encore, dûment flanqué de langueyeur et de langueyage, dans le Trésor de la langue française).   Sur ces mots, et sur bien d’autres qui ont subi le même sort, l’auteur se pose la bonne question : « Ce qu’on ne nomme plus existe-t-il encore ? ».

De toute évidence, ce livre est le résultat d’un travail assidu de documentation et de réflexion. Je me suis parfois demandé si, à peu de frais, l’auteur n’aurait pas pu le rendre encore plus utile. Il lui aurait suffi de noter systématiquement et précisément (il ne le fait pas toujours) la date des entrées et des sorties.  Et peut-être de faire un index de tous les mots cités : cela permettrait de retrouver commodément le mot qu’on a surpris au hasard de la lecture.

Tel quel, le livre est à la fois agréable et instructif. 
Dans la même collection, Patrice Louis publie un À dormir debout, ainsi sous-titré : Nomenclature bien réelle d’êtres et de choses qui n’existent pas.  Alertement écrit, le livre correspond bien à ce que laisse attendre le sous-titre. Vous avez perdu de vue le nombre des têtes de Cerbère ? Ou vous ne savez plus très bien où se situe le diocèse de Partenia, pour lequel Mgr Gaillot quitta, dans l’allégresse, celui d’Évreux ? Pétaouchnok, vous avez oublié où c’est ? Vous trouverez tout cela, et bien d’autres choses encore, en feuilletant cet amusant petit recueil. 

Bien sûr, il faudrait une bonne dose, oui, de mauvaise foi pour se plaindre des lacunes. Pour remarquer, par exemple, que les sorcières n’étaient pas toujours « vieilles et sinistres » : au XVIe et au XVIIe siècle, on avait l’esprit large, et on torturait et brûlait les jeunes et les belles autant (plus, me souffle-t-on) que les vieilles et les laides. En tout cas, jeunes ou vieilles, elles existaient bien. Autant d’ailleurs que les victimes de la chasse aux sorcières, du temps de l’honorable sénateur Mac Carthy. Certes. Mais on ne saurait tout dire. Et ce qui est dit est bien dit.

Michel Arrivé 

Jean-Claude Raimbault, D'un dico l'autre, Arléa, février 2006, 200 pages, 20 euros
Aucun commentaire pour ce contenu.