"Les Aventurières du Sinaï", les soeurs Smith à la recherche des Évangiles disparus

La Perfide Albion a je ne sais quoi dans son air qui accouche de femmes extraordinaires. Janet Soskice, jolie blonde, professeur de théologie philosophique à Cambridge, docteur, a exhumé deux d’entre elles…

Un début de vie singulier

Agnès et Margaret Smith sont des jumelles écossaises nées en 1848. Elles sont les filles d’un avoué. Leur mère meurt à leur naissance et leur père décide de leur consacrer sa vie. Les petites n’ont que lui comme famille et leur existence sera singulière ;  Isolée à cent kilomètres au sud de Glasgow, à Irvine, six mille habitants… Elles ne sont pas enfermées dans le moule féminin qui domine leur environnement. Leur père encourage leur goût pour les langues étrangères et les voyages (penchant stimulé notamment par les récits bibliques de l’Ancien Testament). À 23 ans, Agnès et Margaret sont orphelines mais l’héritage d’un oncle les laisse à l’abri du besoin. 

De tête bien pleine… À mollet tendu

L’époque est passionnée par les recherches bibliques. La plus ancienne version connue de la Bible, incomplète, date du Ive siècle et est jalousement gardée, au Vatican. En 1840, on compte un millier de manuscrits disséminés un peu partout. Constantin von Tischendorf (1815-1874), docteur en philosophie, convaincu, tout comme Erasme en son temps, de l’aspect incomplet du texte du Nouveau Testament, part à la chasse des manuscrits. Au monastère Sainte Catherine, dans la presqu’île du Sinaï, il découvre Une Bible en grec du Ive siècle. Sa découverte lui vaut une telle notoriété qu’il est reçu par le pape. Les deux sœurs, passionnées par la question, se lancent dans l’étude des langues antiques et entreprennent de voyager en Egypte. Leur premier voyage les initie aux particularités locales, notamment les inconvénients des interprètes malhonnêtes…  Elles ne sont pas prêtes.  Toutes les deux se marient mais ne portent pas bonheur à leurs conjoints respectifs qui meurent après trois et quatre ans d’union.

La découverte de toute une vie

En 1892 les deux inséparables arrivent au Caire, formées et décidées à trouver des manuscrits dans le fameux monastère. Elles vont au monastère Sainte Catherine et réussissent à apprivoiser les moines. Ces saints hommes sont assez farouches car étrangers à la philologie. Pour eux la foi prime l’agitation intellectuelle. Avec l’aide du bibliothécaire Galaktéon, elles photographient  un très ancien palimpseste en Syriaque. De retour, elles contactent Robert Bensly, professeur à Cambridge et son collaborateur F. Burkitt. Ils sont enthousiastes ! Une seconde expédition est montée comprenant les deux professeurs, les deux sœurs et Rendel Harris, érudit et beau frère  d’une des soeurs. Les professeurs traduisent péniblement le texte jaunâtre des évangiles qu’on distingue mal sous une vie des saintes plus anodines. Ils se brouillent entre eux et les moines ne facilitent pas leur travail. Par surcroit, ils considèrent les sœurs comme des arrivistes… De retour en Angleterre, la brouille s’étalera dans les journaux. Chacun tire la couverture à lui autour de deux questions : qui a le mieux traduit ? Qui s’est rendu compte le premier que le texte était capital ? On se dispute aussi autour du manque de clarté de Marc qui peut laisser entendre que Joseph est le véritable père de Jésus. Agnès en est choquée, ce qui agace Burkitt qui explique qu’en syriaque le mot vierge est toujours employé au sens biologique, donc que Marc n’a pas « blasphémé » mais a été seulement vague… Le public a du mal à accepter que la Bible puisse être soumise à l’imperfection des hommes qui l’ont transcrite et donc que les versions puissent varier… Les deux sœurs étudient pour pallier les critiques d’amateurisme qui les ont accablées. Agnès devient même docteur honoris causa d’une université allemande en 1899. Elles ne cessent d’arpenter l’Egypte à la recherche de manuscrits anciens, que l’on trouve souvent sur les marchés à touristes ! Elles meurent en 1920 et 1926 pour Agnès. 

Malgré une légende malveillante qui les fait passer pour deux touristes  idiotes ayant découvert par hasard un machin ancien, elles ont belle et bien découvert l’un des manuscrits les plus anciens des évangiles. D’autres chercheurs, viendront après elles, grâce à elles aussi, fouiller les sables égyptiens…

Un livre passionnant et  érudit. Du vrai Indiana Jones !

Didier Paineau 

Janet Soskice, Les Aventurières du Sinaï, Jean-Claude Lattès, septembre 2010, 358 pages, cahier photos, pas d'index hélàs ni de préface pour initier le lecteur aux recherches bibliques, 21,90 euros

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