"La Guerre du Péloponnèse", Sparte vs Athènes

Un détour nécessaire pour le fameux « Honnête Homme » et un article-défi à l’internaute classique

Victor David Hanson est un fermier californien… Je suis incapable de dire ce qui compte le plus dans sa titulature, être fermier ou  Historien reconnu pour l’Histoire antique et l’Histoire militaire. L’ouvrage que je vous présente date de 2005, paru en 2008 en France, avec l’aide du Centre national du livre. L’objet du livre est le conflit qui a opposé Sparte à Athènes, et leurs alliés respectifs, au Ve siècle av J.C. 

Démarche américaine sur la Guerre du Péloponnèse

Il présente les qualités et les défauts des livres américains. Les qualités : l’audace et la netteté, les défauts : une certaine approximation sur des aspects évidents de culture générale (pour un Français) et son corollaire parfois appelé anachronisme.

La démarche adoptée n’en est pas moins appréciable et subtile. Hanson nous rappelle l’influence multiséculaire du fameux conflit, au point qu’il est toujours enseigné dans des académies militaires et  glosé dans les milieux politiques (ça, c’est l’hameçon) ; puis il exerce un parallèle hasardeux mais politique entre Athènes et les « States ». 

Hanson entame son récit par la chute d’Athènes face aux navires du Spartiate Lysandre en 404 (avant J.C. s’entend !). Il évoque la destruction des murs de la glorieuse cité au son des flûtes. Il reprend avec l’exposé de ses sources : Thucydide (460-395) puis Xénophon. Le premier conte l’affaire de 431 à 411, puis le second continue jusqu’en 404 ou 403. L’auteur expose les désaccords sur les dates de début et de fin de la Guerre du Péloponnèse, tels que les fragments de Théopompe et  de Cratippe le laissent entendre ; une expédition de Corinthe, en 433, et la revanche maritime d’Athènes en 394 qui laissent Athènes et Sparte épuisées, neutres l’une contre l’autre, face à la menace béotienne de Thèbes.
    
C’est agaçant ce que j’écris, hein ? Du genre « idikoicega » (version coule)… Tout cela pour vous faire passer ce que l’auteur désire : une approche thématique de la guerre, et, résolument contemporaine. En effet, si on reconnaît la volonté, réussie (sic), de Thucydide de faire de son œuvre une flèche philosophique « éternelle », on se perd néanmoins dans les discours reconstitués et les péripéties du conflit.

Pourquoi Sparte attaque-t-il Athènes ?

Selon lui, As long I am concerned (pour paraphraser Gordon), la guerre provient des sentiments de Sparte : l’orgueil d’une supériorité traditionnelle, la force de la simplicité, et la peur d’une « puissance-monde » représentée par Athènes. L’action est ainsi traditionnelle : « Allons chez les Athéniens ! Brûlons ! Défions ! Puis l’ennemi vaincu par l’Homme reviendra à la raison, selon nos canons… Et son inclinaison sera à la restauration des choses anciennes… » (Selon Archidamos roi de Sparte).
    
Raisonnement de mirliton ? Périclès, le leadeur d’Athènes, n’envisage pas une seconde de résoudre l’affaire par hoplites interposés ! Les Hoplites sont les nobles combattants de la Grèce classique par excellence. La guerre ressemble alors aux pratiques des sociétés primitives, homme contre homme, Horaces-Curiaces, ou autres références appelées à faire florès (salut Horace impérissable source de jeux de mots !). C’est une fichue forme d’honneur qui n’est pas approfondie ici. Ne jamais affronter les Spartiates et leurs alliés directement sur terre mais piquer comme une mouche liquide par les trirèmes ; et, surtout, maintenir l’empire maritime sur et avec les alliés, de gré ou de force !

« Le Spartiate est trop prude à jouer  de l’argent,
Il sera donc exsangue au parfum du printemps »
Disait Alfred de Vigny ou un gars de son genre.

Sparte est fragile à force d’endogamie et d’écrasement de ses esclaves, les hilotes  messéniens. 8000 hoplites contre les Perses, 4000 en 431. Si on surveille les esclaves, on ne peut pas... En même temps…Si Périclès semble raisonner juste sur l’idée, il s’égare sur le temps ?

Les cavaliers de l’apocalypse ?

La suite de l’ouvrage fait songer à Saint Jean…. Hanson explore la faible capacité des armées antiques à ravager une terre. Il mêle au récit ses modestes mais fières observations personnelles sur la difficulté mécanique à ravager arbres fruitiers et récoltes. En clair, essayez de « foutre » le feu à un olivier avec des allumettes, vous ! Sparte attaque Athènes sans pouvoir la prendre d’assaut.
    
Pendant ce temps les Athéniens, ne pouvant mordre, griffent. Ils ravagent les côtes. Qu’y a-t-il de plus malsain que des griffes de chat ?
    
Tous les gens de l’Attique se replient dans la cité athénienne, et, bien sûr, la maladie se développe. Plus de victimes que les lances de la ligue du Péloponnèse dirigée par Sparte. Thucydide cherche toujours des explications rationnelles, c’est en cela qu’il est plus  historien qu’Hérodote. Hanson met le doigt sur l’impact de la maladie, bien plus destructeur que bien des batailles. Athènes, pour se relever, doit dévoyer sa culture par la polygamie ou l’assouplissement de ses règles quant à la citoyenneté.
    
Plus le chat est cerné et plus le chat devient cruel. L’hoplite idéal devient pesant puis inutile à tous les sens du terme. La guerre se fait, par des combattants légers, au point de vue économique ou même « global ». Toute règle explose sous le poids tant de la souffrance subie que de celle qui a été infligée. La vertu de la discipline et ses impacts jusqu’aujourd’hui sont interrogés avec pertinence par l’auteur sous la forme d’un parallélisme entre cohésion militaire et idéal social.
    
Le côté âpre de la guerre se manifeste aussi dans la barbarie des sièges notamment sur ceux que nous appelons aussi les civils. Massacres de ce qui résiste… Platées… La violence compense une poliorcétique encore indigente. Lenteur et usure.
    
Avec trop de souffrance vient l’aventure. Les Athéniens s’engagent de façon hasardeuse dans l’attaque de Syracuse et vont à la rencontre du désastre. Sparte a dû trouver des alliés. C’est Syracuse et c’est… la Perse, l’ennemi d’hier qui a fait le sentiment d’être grec aujourd’hui ! A quoi la naïveté du départ laisse-t-elle la place ? Le désastre de Sicile vient des chevaux si peu employés par les Athéniens, bêtement cernés par des « centaures » les privant de tout ravitaillement ! Chaque camp se dessille de phase en phase du conflit.
    
Le Spartiate qui aime tant le plancher des vaches finit par s’adapter à celui des dauphins ! La démagogie use la démocratie et les Athéniens peinent de plus en plus à aligner une flotte cohérente. Les riches qui en étaient l’âme disparaissent d’autant plus vite que la chasse aux sorcières les décapite. Le désastre athénien d’Aigos-Potamos en  405 sonne le glas d’Athènes. Les batailles navales se révèlent bien plus meurtrières que celles des hoplites qu’on peut qualifier de « conventionnées ». L’auteur nous fait penser au concept de guerre totale, bien avant 1914-1918.

Syndrome du 11 septembre ?

Hanson évoque le redressement de la démocratie après l’écroulement de 405. Jusqu’à ce que la Macédoine de Philippe et d’Alexandre ne règle la question grecque au milieu du IVe siècle av. J.-C. Ce qui semble sûr est l’affaiblissement définitif de Sparte quand Athènes bénéficie d’un sursis…
    
Il est un peu tendancieux de parler de ressenti mais les « Ricains » font souvent penser aux Européens des temps passés, raisonnant l’Histoire comme source d’action ou de justification immédiate. La question de bonne ou de mauvaise foi appartient-elle aux vaincus ?

Un ouvrage riche de réflexions profondes au truchement léger.


Didier Paineau


Victor-David Hanson, La Guerre du Péloponnèse, Flammarion, « au fil de l'Histoire », mai 2008, 480 pages, index, cartes, glossaires, chronologie, 26 € 

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