La chronique de Gerald Messadié

De la Stasi à la NSA, une mine de romans


Chronique. Humeur et mauvaises humeurs de Gerald Messadié |  

Depuis Marcel Jouhandeau, qui s’attira les ires de beaucoup pour certains portraits dans les chroniques de son Chaminadour, à Eddy Louis, dont les portraits de parents et connaissances dans sa récente autofiction sur les tribulations d’un jeune homosexuel, sans oublier Pierre Jourde, nombreux sont les romanciers qui ont fait la même cuisante expérience : à faire trop ressemblant, on risque de s’attirer des inimitiés tenaces.

 

C’est pareil en peinture : on ne compte plus les portraits qui furent refusés pour n’être pas assez flatteurs. Clementine Churchill remisa ainsi au placard un portrait de son époux Winston par le grand peintre anglais contemporain Graham Sutherland. MM. Les artistes, vous êtes priés d’être élogieux, sans quoi vous n’êtes pas. À moins que vous aspiriez à être traînés au tribunal, comme Flaubert et Baudelaire. Suivez donc l’exemple du sculpteur Canova, qui eut l’audace – et la vertu ? – de représenter  un tyran bedonnant, aux jambes grêles et aux mamelles pendantes comme un Apollon svelte, élancé  et musclé : c’était Napoléon.

 

Le sujet mériterait une thèse. Suggérons-en l’intitulé : Du mensonge comme principe d’harmonie sociale. Il serait avantageusement doublé d’une autre thèse : la vérité biographique n’est pas une propriété privée inaliénable.

 

Il s’est ainsi fait récemment grand tapage dans les milieux politiques parce que les conversations téléphoniques d’un ancien président de la République avec son avocat avaient été écoutées par des services secrets. Lequel président clama son indignation, évoquant les méthodes de la Stasi, l’omniprésente Police de l’Allemagne de l’Est, paradis des travailleurs présidé par M. Erich Honecker, certains s’en souviennent sans doute. Le procédé, il est vrai, froisse les sensibilités : qu’est-ce que c’est que ces manières de concierges ? On observera que son successeur, tout de même président en exercice, n’avait pas  proféré autant d’imprécations quand un paparazzo – respectons la grammaire italienne : paparazzo est le singulier de paparazzi – l’avait chopé, dûment casqué, sur le siège arrière d’un deux-roues sur le trajet qui le menait vers un nid d’amour rue du… Cirque – ironie de l’histoire !

 

Ces péripéties révèlent la persistance d’une vessie trouée et déguisée en lanterne qui clignote encore sur l’Occident : le mythe de l’inviolabilité de la vie privée et du droit à l’image. Or, ni l’un ni l’autre n’existent plus depuis belle lurette. On l’a vérifié tout récemment quand une association de consommateurs a contesté en justice l’usage qu’un célèbre réseau social d’Internet fait des données personnelles de ses clients : les contrats, quasiment indéchiffrables, que signent ceux-ci lui en donnent en effet le droit.  Leurs images, leurs goûts, leurs capacités financières, tout cela peut être revendu à une société qui en fera l’usage qu’elle veut.

 

On s’est beaucoup ému dans les hautes sphères politiques internationales et dans les médias quand un employé excédé, Edgar Snowden, a révélé au monde que l’agence de sécurité américaine NSA espionne le monde entier et même le portable de la chancelière allemande Angela Merkel. Mais seul Le Canard Enchaîné a signalé que les services secrets français en faisaient autant, grâce à un logiciel nommé Babar qui piratait non seulement les systèmes informatiques iraniens, mais également ceux de la Côte d’Ivoire, de l’Algérie et d’autres pays d’Afrique.

 

Ceux qui ont dû s’en gausser seront les hackers de l’unité 61 398 de Shanghaï, qui dépend de l’armée chinoise. Car non contents, eux, d’écouter qui leur plaît où ils veulent, ils peuvent, eux, intervenir sur les moyens de communication mêmes, par exemple ceux des opposants politiques tibétains, fût-ce à l’étranger. Ils peuvent couper leurs portables et, à une réunion d’exilés naturalisés américains, à San Francisco, l’un des assistants s’étonna que le camescope de l’ordinateur portable fût allumé : il avait été actionné à distance pour observer la réunion.

 

Il n’existe aucune parade technologique à cet état de choses. L’autre mois, le premier ministre turc, M. Erdogan, fit interdire dans le pays Twitter, coupable à ses yeux d’avoir diffusé des écoutes gênantes d’une conversation avec son fils. Le regain de diffusion des écoutes lui fit ensuite annuler sa décision. Guère instruit par l’expérience, il fit ensuite interdire You Tube, coupable d’autres manquements : or, ce sont là des punitions, pas des mesures efficaces. 

 

Autant dire que la vie privée est une fiction désuète. Toute personne de cette planète qui possède un téléphone portable ou qui est branchée sur Internet est en permanence exposée à l’intrusion d’un système d’écoute ou de l’autre. Son image est vendue à l’encan et ses propos ou ses écrits les plus intimes sont enregistrés par des inconnus quelque part dans le monde.

 

On se prend à rêver aux millions de sujets de romans, sans parler des secrets d’État,  ainsi enfouis dans les bandes magnétiques de feue la Stasi – qui ne sont pas perdues pour tout le monde – et sur les disques durs de la NSA, de l’unité 61 398 ou d’autres systèmes. Imaginez les doux SMS de la nouvelle Emma et du nouveau Rodolphe sur fond de discours électoral ou d’assemblée générale… À moins que ce soient des images de Charles Bovary se curant le nez…

 

Gerald Messadié

 

3 commentaires

Bah,  la vie privée des honnêtes gens n'est menacée que s'ils le veulent bien. il suffit de ne pas  l'étaler sur le net ou les réseaux sociaux, et de sécuriser son ordinateur personnel, c'est tout. Comment faisait-on avant ?  Il faut vraiment être une tanche pour publier ses sex-tapes sur son blog, et venir couiner après.
Je vois plusieurs éléments qui tempèrent le danger apparent de cette (réelle) épidémie mondiale de Big Brothers , et le désormais inévitable discours catastrophiste ou conspirationiste :
D'une part  la qualité des infos : les données concernant nos petites vies privées d'anomymes indiffèrent totalement  la NSA et les services secrets chinois  ( vous donnez rendez vous par sms à des potes pour un resto, vous envoyez une feuille de soins pour un rhume à la sécu, vous couchez avec la voisine, etc... : il est évident que les services secrets s'en tapent complètement)
D'autre part la volumétrie : espionner tout le temps le monde entier en permanence nécessite, au delà des moyens techniques monstrueux, des régiments d'analystes-épieurs, qui éplucheront en temps réel les milliards de SMS et de mails : l'armée chinoise entière n'y suffirait pas.
Enfin, l'atavique  curiosité  du public pour les histoires croustillantes des grands de ce monde et les secrets des négociations internationales,  et la quasi obsessionnelle obsession du scoop chez les gens des media trouvent en effet  dans un premier temps de quoi s'alimenter. Mais, inévitablement, toutes ces informations  secrètes sordides, et ces histoires de fesse des stars lasseront vite l'auditoire. Seuls d' incurables naifs peuvent croire une seconde que dans les négociations internationales, personne n'essaie de baiser l'autre.

Par contre, les hommes politiques, les artistes, les et globalement tous les personnages publics ne peuvent plus détenir longtemps un secret ou mentir éhontément- Les affaires Lamblin,  Calhuzac, Aquillino Morelle, pour ne parler que des équipes actuelles,  montrent qu'on ne peut plus donner des leçons aux autres si on n'a pas les mains propres.
Ca n'est pas vraiment un mal. Faudrait pas que ça vire à l'inquisition, mais bon, il y  a quand même du progrès...

bibi33

Article allègre et meilleur que les pâtisseries historico-théologiques dont vous nous avez gratifiés autrefois. Mais peut etre s'agissait-il de service commandé!

Dont acte.

                         MC

Le principe n'est pas " Honnête ou pas " le principe est que l'état viole la vie privée ,c'est un délit.

Soit on est en démocratie soit dans un état Orwellien type " 1984 " . Il nous faut donc de la vigilance et réagir en tant que citoyens libres.