Les demeures de l’Empereur

À son retour de la campagne de Russie, en mars 1813, Napoléon déclarait que ce qui est vrai est toujours beau…. les monuments des siècles ont la couleur et la force du temps.
En quelques mots, dans un de ses raccourcis fulgurants dont il avait le secret, il ancrait sa dynastie dans la longue durée de l’histoire de France ainsi que le note Thierry Sarmant, conservateur général du patrimoine, qui dirige cet ouvrage et qui est aussi un passionné de monnaies et médailles antiques. Une dynastie qui sera pourtant plus brève qu’il ne l’aurait souhaité, même si les espoirs fondés sur le roi de Rome étaient naturels et devait asseoir le nom des Bonaparte.
Certes d’abord conquérant militaire et législateur, Napoléon 1er  fut aussi et tout autant un  bâtisseur à qui l’on doit entre autres superbes réalisations l’Arc de Triomphe, la colonne Vendôme, la percée de la rue de Rivoli et la Madeleine, cet immense Parthénon édifié au centre de Paris et résultat d’un concours auquel 80 artistes prirent part. À ce titre, les palais de l’ancienne monarchie ne pouvaient manquer de le fasciner, pour de nombreuses raisons et notamment leurs implications symboliques.

 

Trois de ces plus insignes témoins du passé sont les acteurs de cette grande épopée artistique qui est relatée dans un livre impérial, sobre de couverture mais riche d’une documentation aussi magnifique qu’abondante et parfois inédite et soutenue par des textes tous remarquables.
Né d’un  désir de Catherine de Médicis, le palais des Tuileries n’accueillit pas moins de sept souverains. Devenu le siège de la 1ère République et du Consulat, il finalement incendié en 1871.
Ensuite Saint-Cloud, cet autre Versailles, auquel des noms célèbres se rattachent, comme  celui des Gondi, de Philippe d’Orléans, de Marie Leszczynska. C’est là que le 18 mai 1804, dans la galerie d’Apollon, Napoléon est proclamé empereur des Français. Occupé par les Prussiens, le palais est incendié en octobre 1870.
Enfin Meudon qui s’enracine dans le Moyen Age, la Renaissance, le Grand Siècle, puis la République et l’Empire. Hubert Robert en 1806, exécute une toile à la fois mélancolique et enjouée, de nombreux personnages s’activant parmi les ruines. Ces trois résidences connaîtront des destinées voisines, tragiques, inattendues, inspirant  à Victor Hugo un poème dont deux mots sont restés dans les mémoires, l’année terrible.

Loin des canons et des bivouacs partagés avec ses soldats, Napoléon a le souci de l’étiquette et des hiérarchies, comme au temps des rois qui le précèdent et le stimulent. Pour lui, les règles, les usages, les remises des lettres de créance des ambassadeurs, les réceptions, les présentations des dignitaires, les uniformes et les Ordres jusqu’aux aménagements des salons contribuent à la visibilité du pouvoir et le faste est un élément de sa puissance et de sa durée.
Par un retour imprévu dont l’histoire garde la surprise, Louis XVIII revenant en quelque sorte chez lui en 1814 reprend à peu de changements près, cette étiquette et aurait lancé ces mots ironiques mais révélateurs au comte d’Artois : Mon frère, nous avons eu un bon concierge.

Les chantiers de rénovation et les commandes nombreuses passées aux manufactures répondent aux exigences de l’empereur qui veut partout de la magnificence, de l’ordre, de la grandeur, un équilibre parfait des couleurs qui séduisent l’œil et des formes qui pour certaines, ne sont pas sans rappeler l’héritage de l’Antiquité gréco-romaine. Les meubles jamais assez beaux, reflets les plus manifestes et éclatants de cette volonté de prestige, sont signés des grands maîtres comme les frères Jacob qui constituèrent une éminente dynastie d’ébénistes. 
À côté d’eux, cette épopée artistique convoque également architectes, peintres, sculpteurs, tapissiers, bronziers, passementiers, brodeurs, pour tout dire les plus experts des créateurs au service de la Cour et les plus habiles des artisans et ouvriers des manufactures. Percier, Fontaine, David, Gérard, Ingres, Camille Pernon, Nicolas-Antoine Lebel, Bernard Molitor, Martin-Eloi Lignereux, les noms reconnus et d’autres moins voire ignorés, à découvrir au fil de ces pages, servent la gloire impériale. De même des lieux comme Sèvres, les Gobelins, Beauvais œuvrent dans ce sens. Si Napoléon avait le goût de la démesure au plan politique, il réussit au lendemain de la Révolution à établir une société plus apaisée et active. L’exemple de Lyon et Saint-Étienne est à cet égard significatif.
En 1802, environ 900 personnes étaient occupées par la passementerie, la rubanerie, la guimperie, preuve que le génie de l’Aigle traitait avec un égal intérêt le Blocus continental et la splendeur de ses demeures. Cet ouvrage accompagne la belle exposition qui s’ouvrira prochainement à la Galerie des Gobelins.  

Dominique Vergnon

Thierry Sarmant (sous la direction de), Palais disparus de Napoléon, Tuileries, Saint-Cloud, Meudon, 301 illustrations, 220 x 290, In fine éditions d’art, septembre 2021, 448 p.-, 49 €

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