Louis Janmot, une élégie entre ciel et terre

La célèbre expression latine d’Horace Ut pictura poesis trouve sans aucun doute dans l’œuvre de Louis Janmot (1814-1892) une parfaite illustration. Toute la peinture de l’artiste lyonnais respire la poésie. Son long poème, qui ne compte pas moins de 2800 vers, est imprégné de couleurs.
Avec constance et conscience, dans les moments joyeux autant que dans les temps sombres de sa vie et de sa carrière, il met les tons et les mots au service de ce qui est au centre de son art et de sa foi catholique: voir l’invisible à travers le visible. Comme si la direction fondatrice de son art rejoignait les idées défendues à l’époque par le théologien et philosophe chrétien Lamennais qui conçoit le beau comme une manifestation de l’infini dans des formes sensibles. 

Pour Baudelaire, les tableaux de Janmot avaient un charme infini. Théophile Gautier les remarque à l’Exposition Universelle de 1855 où Janmot expose grâce à l’entremise de Delacroix. Étonnamment, il n’y rencontre aucun succès. Janmot a des affinités avec le mouvement nazaréen composé au début du XIXe par des artistes viennois et allemands soucieux de relancer le romantisme germanique.
On le considère comme un des précurseurs du symbolisme, au point qu’Odilon Redon et Maurice Denis admirent avec entrain ses œuvres. Plus d’un de ses tableaux le placent en effet parmi les précurseurs du symbolisme. Il était entré à moins de trente ans dans l’atelier du grand guide d’alors qu’est Ingres. Un peu plus tard, il s’était rendu à Rome où il paracheva sa formation et se confronta aux  Antiques et aux Renaissants. 
À Lyon, sa ville natale, il reçoit quelques commandes et il devient professeur à l’École des Beaux-arts. Pourtant, l’oubli assez vite l’éloigne sans beaucoup d’égards de l’histoire de l’art. Il meurt pratiquement ruiné.

Résultat d’une étroite collaboration avec le musée des Beaux-arts de Lyon qui conserve l’intégralité de son œuvre, l’exposition qui vient de s’ouvrir au musée d’Orsay (jusqu’au 7 janvier 2024) ressuscite en quelque sorte un artiste dont l’œuvre, prise dans son ensemble est aussi originale que  considérable.
D’une part, on est devant une perfection formelle toujours soignée, aboutie, raffinée. Il y a une constante recherche esthétique qui concilie et exalte la pureté des lignes, l’harmonie des tonalités, la force de l’inspiration. Les toiles constituant les deux cycles du Poème de l’âme présentées au fil du parcours en témoignent. Un cycle auquel il a travaillé près de 45 ans. Au moins un millier de dessins, en particulier ceux exécutés au fusain avec des rehauts de craie, dignes des plus belles feuilles de ses plus habiles contemporains, démontrent la virtuosité et l’élégance de Janmot.
D’autre part, fait assez rare mais non unique dans le siècle, Janmot est à la fois peintre et poète. Chez lui, peinture et littérature, mots et images, rimes et contrastes sont deux modes pour ainsi dire équivalents, lui permettant de rendre compte de ce qui sous-tend son existence et sa vocation d’artiste.
Placé sous la direction des deux commissaires, riche de textes précis et d’illustrations de qualité, l’ouvrage qui accompagne cette belle présentation, reprenant les chapitres de cette longue odyssée spirituelle, est à la hauteur de ce faisceau d’éléments, visant à faire briller un nom oublié et une œuvre qui ne mérite pas la relégation.
Si sur bien des points, il est intéressant de repérer les influences diverses qui ont pu inspirer Janmot, renvoyant son style au préraphaélisme cher aux Anglais, au romantisme qui triomphe encore, au fantastique tel qu’il se manifeste par exemple chez William Blake ou Johann Füssli, si on note également des rapprochements avec les maîtres italiens comme Raphaël et Botticelli, il apparaît évident que Janmot n’a cessé de s’engager dans un chemin personnel qu’il a suivi et creusé résolument.
L’esprit d’idéal qui le nourrissait a suffi à pénétrer son œuvre d’une grande continuité visuelle qui souligne son indépendance et son identité. Jugées au prisme de nos regards actuels, la délicatesse de la palette et la prestesse de la ligne appellent ce que d’aucuns considèrent comme de la mièvrerie, de l’affectation, une sorte de mysticisme dépassé. Mais reporter au contexte historique, ce dialogue qui se déroule entre âme et ange, virginité et cauchemar, tentation et rédemption, entretenu par deux jeunes héros dans des paysages enchanteurs a amplement de quoi éblouir.    

Dominique Vergnon

Servane Dargnies de Vitry et Stéphane Paccoud, (Sous la direction de.) Louis Janmot, le poète de l’âme, 240 x 280 mm, 187 illustrations, In Fine éditions d’art, septembre 2023, 192 p.-, 35€

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