Héraldique et Renaissance

Des écus en usage lors des tournois du XIIe siècle aux blasons sculptés sur les cheminées des châteaux, de la broderie où figurent les armes de Maximilien de Béthune aux gourdes de pèlerin en gré, du retable de la Passion en émail polychrome peint sur cuivre avec les armoiries d’Anne de Montmorency au ténor de violon fabriqué à Crémone par Andrea Amati et portant les armes d’Elisabeth de Valois, l’héraldique dans le sens le plus large du mot accompagne la vie quotidienne européenne.
Elle témoigne ainsi de l’omniprésence de l’emblématique tant au Moyen Age que durant la Renaissance. Si notamment pendant la Révolution qui vise à leur abolition, il a pu y avoir une certaine désaffection envers ces emblèmes, un retour d’intérêt s’est manifesté depuis, dépassant le goût troubadour et romantique de leur recréation poétique, comme le précise Thierry Crépin-Leblond, co-commissaire de l’exposition qui se tient sur ce thème au musée national de la Renaissance, au château d’Ecouen.

À la fois science, art et langage, l’héraldique, mot venu du latin heraldus, héraut, est tout au long du XVIe siècle le miroir de la société et de ses manières de vivre, de penser, d’agir, de s’instruire, de transmettre les biens. Des grands seigneurs aux simples familles, les blasons et les devises, celles-ci reliées aux valeurs morales, sont  autant de signes distinctifs d’une lignée et d’une appartenance. L’historien Pierre Francastel estimait que les signes parlent au premier regard et disent toujours beaucoup plus que ce qu’ils ont pour fonction de dire.
Michel Pastoureau, éminent spécialiste de l’héraldique, qui préface ce catalogue disait dans une de ses conférences que les armoiries, conçues à l’origine pour les batailles et les tournois, se sont répandues hors du monde de la chevalerie par les sceaux apposés sur les écrits. Ces sceaux se remplissant d’armoiries ont joué un rôle de relais. Marque d’engagement, devenant petit à petit marque de possession, elles se retrouvent sur des documents et des livres mais aussi sur des objets, des vêtements et des étoffes, des œuvres d’art et des monuments et s'étendent également à toutes les classes sociales, le clergé, les femmes, les artisans et même les paysans.

Le lecteur au fil de ces pages comme le visiteur au long des salles qui accueillent une centaine d’œuvres, sont à même de saisir comment à l’époque, l’héraldique implique et associe aux arts tels que la peinture, la sculpture, la tapisserie, le vitrail, l’ensemble de la hiérarchie sociale, des princes aux religieux, des lieux de pouvoir aux lieux de commerce. Si des codes précis interviennent dans la construction des écus et des armoiries, que ce soit les couleurs, les partitions, les figures dessinées, les formes, les ornements, exigeant une connaissance sûre au risque de ne pas les comprendre, l’héraldique n’est pas pour autant un langage crypté qui serait réservé aux seuls initiés.

D’une extrême qualité et d’une grande originalité, toutes précieuses, souvent très peu montrées et connues, les œuvres qui sont réunies pour cette occasion sont, bien au-delà de  la notion de simple décor, comme une immense page d’histoire ouverte à l’admiration et à la curiosité.
Elles témoignent de cette volonté de marquer visuellement une identité et une propriété. L’éventail est large, qui va des médailles et des manuscrits, des reliquaires aux poids et mesures d’usage commun, des coffres aux reliures et jusqu’aux compositions végétales qui décoraient les jardins de certaines demeures. Une lecture approfondie et nouvelle est faite du célèbre chef d’œuvre intemporel qu’est la tapisserie de La Dame à la licorne.
En 1509, s’inspirant d’une joute qui avait eu lieu l’année précédente à Wittenberg, Lucas Cranach l’ancien exécute une eau-forte sur papier, à la fois délicate dans ses détails et puissante dans sa dynamique de combat représentant un Tournoi de lances à la cour de Saxe, où les armures et les caparaçons des chevaux portent des ornementations et des monogrammes.
De même est mis en avant le rôle majeur joué par un érudit et un grand collectionneur du XVIIe siècle, François-Roger de Gaignières qui copiant et relevant des centaines de milliers d’actes, de titres, d’édifices et de monuments de toute nature a contribué à sauvegarder et enrichir la mémoire de l’héraldique française.

Dominique Vergnon

Thierry Crépin-Leblond (sous la direction de), Le Blason des temps nouveaux : signes, emblèmes et couleurs dans la France de la Renaissance, 240x290 mm, 265 illustrations, In Fine éditions d’art, octobre 2022, 272 p.-, 39€

www.musee-renaissance.fr  jusqu’au 6 février 2023

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.