Les Français d’abord, slogans et viralité du discours Front National (1972-2017)

"L’histoire du front national à travers ses principaux slogans propose un décryptage des positionnements du parti en s’appuyant sur quelques mots qui font sens"

 

Magistralement illustré par un travail d’archiviste irréprochable, l’essai de Valérie Igounet, historienne spécialiste du négationisme et de l’extrême-droite, fonctionne en trois temps bien distincts, et par l’approche et par l’intérêt. Le premier est celui de l’analyse historique du Front national dans sa constitution progressive et dans l’élaboration de son discours publique. Le second est une analyse des principaux slogans. Les approches différent par la forme (disons, pour aller vite, un "essai" suivi de "commentaires") et par le point de vue, Valérie Igounet quitte l’habit d’historienne pour celui de militante. Le troisième est une étude de la viralité du discours frontiste dans la doxa politique, cette "lepénisation des esprits" …

 

L’analyse permet de montrer l’évolution du discours frontiste, qui est d’abord un parti purement nationaliste, puis qui teinte fortement de social son combat et ses engagements, pour devenir aujourd’hui un parangon de laïcité, qui ne souhaite plus le retour à la peine de mort (récemment abandonnée par Marine Le Pen), qui ne lutte plus contre la loi Veil sur l’IVG considérée alors comme une "propagande avorteuse et anti-nataliste" car défendre les français c’était opposer à l’immigration la natalité nationale. Le discours du Front national évolue avec la société mais aussi en fonction des personnalités qui dirigent la communication du parti, de Jean-Pierre Stirbois à Bruno Megret et plus tard Marine le Pen il y a une réorganisation des "éléments de langage" appuyant qui plus sur l’immigration ("2 millions de chômeurs ce sont 2 millions d’immigrés de trop ! La France et les Français d’abord !") ou sur le social ("‘A celui qui n’a plus rien, la Patrie est son seul bien’ [Jean Jaurès]. Jaurès aurait voté Front national"), mais avec une constante : la préférence nationale. C’est toute l’histoire du parti à travers sa communication qui est étudiée, et l’on suit le chemin lent et chaotique de la dédiabolisation.

 

"RPR : mouvement politique qui fait campagne sur les thèmes du Front National et pactise avec le socialisme et les lobbies une fois au pouvoir"

(document interne au FN, 1988)

 

C’est Bruno Megret qui entame au début des années 1990 le processus de dédiabolisation, en souhaitant que le Front National s’équipe de son propre vocabulaire et propose toujours un discours positif plutôt que l’ancien usage réactionnaire et revenchard, ceci pour s’ouvrir à un électorat plus nombreux tout en conservant — par un double langage — ses adhérents traditionnels. Outre le fait que nombre de dirigeant de la droite traditionnelle (Gérard Longuet, Patrick Devedjian, Claude Goasguen, Alain Madelin…) ont fait leurs premières armes politiques auprès d’Occident, le groupuscule d’extrême-droite allié un temps au FN, il y a "porosité" entre la droit et l’extrême-droite pour nombre d’idées. C’est ce que Valérie Igounet nomme la "viralité" du FN, dont les idées se propagent comme un virus au sein de la droite "démocratique". Si certains ténors refusent toute alliance (c’est le cas de Charles Pasqua) d’autres n’hésitent plus à des ententes ponctuelles, comme à Dreux en 1977, tant que cela permet d’abattre l’ennemi socialo-communiste. Ce glissement progressif de la droite vers l’extrême-droite se sent dans des moments clés, comme lors des propos de Jacques Chirac sur "le bruit et les odeurs" (1991), marqueur étape importante de la réorientation du discours.  De son côté le FN a tenté de réorganiser la vie politique en devenant le fer-de-lance d’une lutte contre la gauche. Jusqu’en 1998, le FN étend son influence sur la droite, et passant un accord cadre il permet à la droite d’emporter six région. Mais le FN stagne et en 2008 Nicolas Sarkozy jouera sur les thèmes frontistes (identité nationale, immigration, insécurité, etc., ce qu’on a appelé la "ligne Buisson") pour se faire élire. Dès lors des pans entiers du discours frontiste passe le cap de la diabolisation et devient le discours légitime. Sans avoir gagné l’élection, c’est le FN qui impose son esprit sur la pensée politique contemporaine.

 

Si le FN est aujourd’hui au centre de l’échiquier politique français, c’est sans doute parce qu’il a su évoluer et adapter son discours à la société. Cette évolution est pour Valérie Igounet une supercherie, car le FN "avance masqué". Il n’empêche, ce sont les problématiques soulevées par le FN qui sont au centre des débats politiques actuels, voire simplement le FN comme parti-répulsif contre lequel il convient de se positionner (donc ne plus défendre ses idées mais combattre celles de l’autre…). Cette victoire idéologique a même atteint une paroxysme drolatique : maintenant que le FN est le premier parti de France, pour ne pas être à la traîne, la droite et la gauche préfèrent s’allier à leurs adversaires naturels dans un "front républicain" pour combattre le FN, quitte à lui donner raison dans la critique d’un UMPS bâtard et indifférencié…

 

Comme souvent dans un ouvrage consacré au Front national, on peut reprocher quelques pics gratuits (quelques mots choisis comme "simpliste" pour "simple" ; l’étonnement face au mélange national et social alors que le PCF de Georges Marchais entendait défendre les travailleurs français contre les travailleurs immigrés en des termes très similaires ; le FN vend des gadget à son effigie, soit, mais tout parti fait cela…) et quelques propos de "militants" (reprocher au FN d’avoir "instrumentalisé" les contextes particuliers de l’arrivée massive des migrants en signalant la présence de djihadistes dans le flot des réfugiés dès 2015 sans rappeler que cela a été confirmé par les faits et les déclarations de dirigeants européens aussi bien que français dont Manuel Valls, est tordre le réel pour le faire correspondre à sa vision partisane), il faut connaître ce très beau travail d’analyse et de synthèse qui laisse admiratif par la portée historique sur l’évolution du FN et de ses discours, mais aussi sur la place de plus en plus importante, jusqu’à devenir centrale, que vont occuper les thèses frontistes dans la doxa politique. Si les enjeux politiques des dernières élections gravitent très largement autour du Front National (pour éviter sa prise pouvoir, manière d’épouvantail républicain, ou pour reprendre ses idées, comme le fit Nicolas Sarkozy). Cela ne n’altère cependant pas la qualité des analyses ni l’intelligence de l’approche, mais en fait un objet plus militant qu’historien.

 

 

Loïc Di Stefano

 

Valérie Igounet, Les Français d’abord, slogans et viralité du discours Front National (1972-2017), Inculte, janvier 2017, 188 pages, 19,90 eur

 

  

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