"Potens" d'Ingrid Desjours, crimes sanglants au Club des gros QI

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Si vous êtes doté d'un Quotien Intellectuel de plus de 130, vous pouvez intégrer Potens, club select s'il en est, qui réunit ses membres lors de soirées dînatoires et ludiques (jeux de stratégie, de rôle, de devinettes mathématiques...) et leur offre ce que l'intelligence trop élevée leur avait fermée jusque là : un réseau social. Alors l'ancien martyre des cours d'école reconnaît les siens et, pourquoi pas, devient heureux. Mais n'est-ce que cela ? car entre la qualité réelle des membres et la futilité des réunions, il y a un hiatus assez étrange, et des relations au final assez délétères. Hiatus comblé par le saint des saints Alpha Pi, sommet de la hiérarchie des Pontes, but secret de plusieurs membres et sans doute cause de complots et d'alliances indicibles. Comme un club de l'Horloge ou autre petit groupe de pression, qui infiltre le pouvoir, mais à quelle fin ?

« Potens. Mot latin signifiant "puissant, souverain", désignant aussi un club à l'anglaise aux statuts associatifs n'ayant jamais fait beaucoup d'émules au pays de Molière. »

L'une des plus brillantes Pontes, Charlotte Delaumait, est assassinée : visage brûlé, corps mutilé d'innombrables coups de couteau, comme si la violence primale voulait la faire disparaître. L'enquête, menée par Patrik Vivier, est assez difficile pour qu'il demande l'assistance de la psychologue Garance Hermosa, dont les charmes et la vraie intelligence supérieure en feront un espion fort utile. Garance va s'infiltrer, apprendre à connaître les Pontes et leurs petits secrets et au final résoudre l'énigme : c'est le destin le coupable, car, comme le disent plusieurs protagonistes, Charlotte a réussi à se faire haïr par tant de Pontes que sa mort était inéluctable et que son meurtrier n'est, au final, que le bras armé du destin... Garance va chercher à comprendre qui était Charlotte, quelle était la hauteur réelle de sa vilénie, et voir dans son entourage proche les plus malmenés par cette femme calculatrice, hautaine et arriviste, qui mettait son cul et son intelligence au service de son avancée, et chercher celui qu'elle aurait pu pousser un peu trop loin.

« On préfère parfois couler seul plutôt que de montrer ses faiblesses et appeler à l'aide. »

Plus que l'enquête sur le meurtre de Charlotte Delaunait, qu'a priori tout le monde a de bonnes raisons de ne pas regretter, Potens est une plongée dans l'âme de Garance Hermosa, la psychologue chargée d'infiltrée Potens pour éclairer de l'intérieur la police. Voyage spéculaire, ce sont ses propres fantômes qui ressurgissent et au final en font un animal blessé, donc dangereux, mais lui voilent aussi certains angles de son enquête. Interraction morbide... Mais la plus fine psychologue peut-elle résister à ses propres démons ? L'anamnèse est troublante et jette Garance dans un émoi qu'elle doit combattre de toute ses force pour rester maître, pense-t-elle, de sa vie, pour continuer ses efforts pour être tout à fait haïssable aux yeux de celui qu'elle aime et dont elle sait être aimée, Patrik Vivier.

« [...] rejeter violemment le seul homme qui l'aimait un peu, de faire en sorte qu'il la haïsse pour de bon. / L'égratigner, l'écorcher, pour qu'il ne voie plus que ses propres blessures. Que sa douleur le tienne à distance. »

La personnalité de Garance est terriblement attachante, par cette dualité même qui en fait un être à la fois passionné et mortifère, cherchant l'amour et rejetant toute possibilité de se faire vraiment aimer. Et tout le roman est ponctué de focalisation sur les troubles mêmes de Garance, par des récits « J+ x depuis la mort de Félicia », qui servent à sa propre introspection et à nous faire comprendre, peut-être un peu, la nature de ses propres troubles. Et comprendre aussi, mais presque trop tard pour que ça ait le moindre intérêt pour l'enquête, à quel point elle a pu être manipulée par une vraie intelligence supérieure et ne pas voir l'évidence, qui sera jetée au lecteur comme un dernier os à ronger, quand la table est desservie et qu'il ne reste aucun relief.

Au final, le lecteur saura tout du meurtre de Charlotte Delaumait, de ses raisons profondes et des petites saloperies qui traînent autour de Potens, mais, surtout, le lecteur s'en fichera certainement, car il aura compris que rien ne s'est joué d'important et que surtout rien n'a été arrêté par l'enquête, que le monde des manigances continue sa course au pouvoir. Happé par l'écriture très littéraire (qui se lit dans la phrase ciselée et pas à la va vite) d'Ingrid Desjours et par la personnalité de Garance Hermosa, le lecteur n'échappera pas facilement aux rets des émotions que Potens fait naître en lui, et aux froides horreurs qu'on lui expose. Maîtrisé de bout en bout, Potens, qui s'intalle peu à peu, qui fait vivre des personnages profonds et attachants (même les seconds rôles ne sont pas de simples « emplois »), se laisse le temps de la petite perfidie tranquille, et abandonne sur une pirouette de grand style un lecteur sous le charme. 


Loïc Di Stefano

Ingrid Desjours, Potens, Plon, « nuit blanche », juin 2010, 367 pages, 19 €
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