Le nouveau maître de l'anticipation politico-écologique

Romancier américain, Paolo Bacigalupi est devenu en quelque mois une référence incontournable dans le monde de la littérature de science-fiction. Lauréat en 2010 des prestigieux prix Hugo, Locus et Nebula pour son roman
La Fille automate, il rassemble alors tous les suffrages aussi bien critiques que publics. La traduction de son chef d’œuvre aux éditions du Diable Vauvert ce mois ci est donc un excellent moyen de découvrir ce fils spirituel non proclamé des Gibson et autre Stephenson en terme de science-fiction « politique ». De passage à Paris, nous nous sommes fait un plaisir de rencontrer cet auteur passionné et engagé.


Pourquoi avoir choisi l’Asie et plus précisément la Thaïlande comme théâtre du récit ?

Paolo Bacigalupi : Énormément de raisons. J’ai beaucoup voyagé en Asie, spécialement en Thaïlande et en Chine. J’étais présent lors des récentes épidémies de grippe, à Hong Kong notamment. Je voyais les gens mourir…la maladie se propageait encore et encore et le gouvernement chinois mentait sur l’état de l’épidémie. En voyageant j’ai moi même été très malade, la chaleur en Thaïlande difficilement supportable, j’étais pris de délires, et éreinté.

Je me souviens également de l’ambiance pendant le trajet en avion, lors de l’essai des masques à oxygène quand j’ai quitté le pays. À ce moment j’ai vu cette jeune femme japonaise qui portait les déguisements typiques (cosplays). Elle se déplaçait avec des mouvements saccadés telle un automate. J’ai donc repris cette image pour le personnage principal du roman.

En outre le choix de la Thaïlande est un symbole ; pays toujours indépendant, résistant à l’empire du Commonwealth, tout une image entre passé et présent. Je ne pouvais plus changer le lieu. J’ai donc effectué beaucoup de recherches et mis trois ans à écrire.

La crise de l’énergie, les manipulations génétiques alimentaires sont au menu dans votre œuvre ; des points qui ont l’air de vous tenir à cœur ?

Paolo Bacigalupi : Je suis inquiet avec le développement des OGM et du fonctionnement des compagnies agricoles. Les industries sont indépendantes et sont en train de gagner en répandant leurs détritus. Elles pressent les politiques afin de continuer leur œuvre. Quand j’ai écrit La fille automate, j’ai voulu alerter au sujet de l’expansion de ces compagnies qui vont et implantent leurs produits impunément, pour du profit encore et encore. C’est inévitable.

Pour la crise énergétique, la représentation présente dans le récit n’est pas ce m’importe le plus. C’est surtout le fait de changer d’énergie même si cela semble impossible. Le pétrole reste roi. Mais il faut se poser des questions. La Chine accroît la demande de pétrole et les réserves s’épuisent. L’énergie devient très onéreuse. On se retrouve dans un rébus insolvable. Il faut rechercher un changement. Mais nous vivons les yeux bandés, dans le déni.

Venons-en au roman ; les sévices que subies Emiko sont très durs au départ. Est-ce une volonté de prendre une attitude « féministe » et sur la condition féminine ?

Paolo Bacigalupi : Cette scène est l’une des plus dures du récit. Elle est là surtout pour donner une raison à Emiko de tuer  par la suite. Il serait difficile de s’identifier à elle, d’avoir de la sympathie pour elle sans cela. Son cheminement lui donnera par la suite plus de pouvoir,  et elle pourra faire pression sur les gens qui l’ont abusé. Elle survit…

Alors que le personnage d’Anderson lui est l’homme d'affaires froid, calculateur et manipulateur type

Paolo Bacigalupi : Au départ, le lecteur peut penser qu’il s’agit du héros de l’histoire. Mais on s’aperçoit vite finalement que c’est lui le méchant. Commencer le récit en l’introduisant peut faire douter.

La recherche de l’humanité est un des thèmes du récit ; même si elle n’est qu’un automate Emiko paraît pourtant la plus humaine des protagonistes

Paolo Bacigalupi : Tout dépend si être humain constitue à montrer de la gentillesse à éprouver de l’empathie. Si c’est cela, Emiko est humaine. Mais la situation est particulière ici. Les personnages vivent dans un monde dur et brisé. Ils se doivent de faire un choix entre bien et mal. Ou plutôt entre ce qui est bon pour eux ou pour les autres. Dans ce contexte de souffrance c’est ambigu. Faire un choix égoïste peut sembler alors approprié.

Quels sont les auteurs qui vous inspirent ?

Paolo Bacigalupi : J’aime beaucoup les enquêtes des journalistes d’investigation. Tout ce qui m’ouvre les yeux sur le monde qui m’entoure. Ainsi que ceux qui écrivent sur des sujets comme l’alimentation aux Usa. J’aime en particulier Michael Pollan. Actuellement je lis un ouvrage sur le processus de trafic de drogue entre les Usa et le Mexique. Sinon, j’aime beaucoup Neal Stephenson et Charles strauss, leur vision du monde est intéressante, ils m’aident à comprendre le présent.

Vous avez remporté toutes les récompenses ; vous pouvez arrêter d’écrire à présent. Sérieusement, vos sentiments à ce sujet et vos projets ?

Paolo Bacigalupi : J’ai été effrayé quand j’ai reçu toutes ces distinctions. Que dois je faire maintenant ? j’ai grandi avec la science-fiction et les gens que je respecte (Gibson, Ursula le guin, etc.) tous ces grands écrivains m’honorent.

Mais c’est si bon d’écrire, de regarder les problèmes, de poser des questions sur le monde, l’énergie, la sécurité etc. Je vois les choses avec un regard différent, la science-fiction c’est comme des lunettes qui lorsqu’on les porte donne une autre image du futur. Et j’ai donc plein de choses sur lesquelles je veux parler.

Je me souviens alors pourquoi j’écris et je suis terriblement excité.

Je travaille actuellement sur trois romans dont un livre pour enfants.



François Verstraete

Remerciements à Anne Vaudoyer pour avoir permis cet entretien


Lire la chronique consacrée par François Verstraete à La Fille automate

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