Dans la chaleur de la vie… l’éblouissement des petites filles

Au chapitre 20, page 361 et 48 pages avant la fin, nous apprenons ce qui est arrivé à Océane. Elle avait disparu de Cressac, village où Justine meurt d’ennui. Rapidement, les médias vont s’emparer de l’affaire, tourner leur JT sur place, dans ce coin perdu où il ne s’était jamais rien passé et où elle et sa mère sont encore des étrangères. Justine et sa mère regardent la télé, relèvent les erreurs dans le discours de Mathilde, camarade de classe de Justine, laquelle voudrait plutôt rester seule à rêver de ses amours éventuelles avec Jazz, ou avec tout autre garçon qui ne s’avérerait pas homosexuel. Cet homme qui vient faire le jardin, tailler les haies, montrer ses beaux bras bronzés… Il se nomme Vedel. Il va devenir l’objet de tous les désirs de Justine, qui en oublie parfois qu’elle a été presque amie avec Océane, et que celle-ci demeure introuvable.
À partir de ce scénario très simple – heureusement très simple – Timothée Stanculescu tresse un maillage serré, comportant des descriptions si détaillées qu’elles finissent par créer une atmosphère envoûtante, faite d’obsessions et de rêves, dans laquelle baigne Justine, éperdue, égarée : qui est-elle ? est-elle en fait indifférente au sort d’Océane ? que pourra faire Vedel pour elle ? est-ce qu’elle et sa mère partiront un jour de ce trou ? Est-ce que son père la prendra quelques semaines avec lui durant le reste de l’été ?
Et sa meilleure amie ? Finalement, je suis contente que Mathilde ne soit pas là. C’est comme si je commençais déjà à ne plus l’aimer. Toute la puissante ambivalence des sentiments d’une adolescente est ici convoquée. Justine ne cesse de se demander : est-ce que j’aime cette personne ? Est-ce que je ne l’aime pas ? Et elle tourne évidemment assez loin autour de la question essentielle : au fond, qu’est-ce que : « aimer » ? Un papa qui ne veut pas vous voir plus de cinq jours d’affilée mais qui vous achète une jolie robe, est-ce qu’il vous aime ? Il a déjà aimé quelqu’un ? Il a aimé cette femme qui est votre maman ? Vraiment ? Il y a tant de gens que ma mère connaît, ici. Et moi, non. Comme si je me préparais déjà à devenir une étrangère dans ce village. Rien qui me retiendra quand je partirai d’ici. Encore deux ans, plus que deux ans, et je m’en irai sans jamais revenir.
Le plus beau compliment que nous puissions faire à ce beau roman captivant, c’est qu’il ressemble fort à l’Effrontée, le fameux film de Claude Miller dans lequel Charlotte Gainsbourg jouait cette gamine fascinée par une jeune diva et pianiste émérite – la seule différence étant qu’ici, Justine est fascinée par une alter ego qui a disparu et dont elle ne connaîtra le sort que très tard. L’effet de suspense joue ici honteusement son rôle.
Chaleur entêtante, obsessions poisseuses, premier baiser offert par un homme qui ne restera sans doute pas dans la région, amie perdue, amie disparue, angoisses d’une adolescente enfermée dans un pays qu’elle refuse de connaître : voilà le parfait roman pour vous qui passez l’été dans la chaleur de Valensole ou d’Estepona !

Bertrand du Chambon

Timothée Stanculescu, L’éblouissement des petites filles, J’ai Lu, juin 2023, 409 p.-, 8,50 €
Initialement paru chez Flammarion en 2021

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