le triste et beau "Couloir" de Sylvaine Arrivé

Joli livre que ce livre-là, triste aussi, sujet oblige. Matière magistralement traitée, en sa partie immergée, dans Nos futurs, un merveilleux film de Rémi Bezançon, auquel le distributeur n'aura pas cru puisqu'il sortit un 22 juillet. De surcroît incompris par les critiques qui, à tort, le jugèrent sensiblard !

Souhaitons au Couloir meilleur accueil. Il le mérite.


Une adolescence d'autrefois, achevée le 25 février 1980, le jour où Roland Barthes, au sortir d'un déjeuner avec François Mitterrand, fut, au carrefour Écoles-Saint-Jacques – renversé par une camionnette de blanchisserie. Acte 1. À l'ombre d'un grand cèdre – et non plus du platane de Taine ou du marronnier de Sartre – dans une cour de lycée, deux garçons se jurent une amitié qu'ils voudraient éternelle. Acte 2. Après le lycée, le lecteur retrouve Jérôme ( le prénom de l'anti-héros des Choses de Pérec ) et Quentin ( le garçon parfait, bon en maths, qui choisit – honneur à lui ! – de faire une Terminale L. par intérêt pour la philosophie ) en coloc avec Millie, étudiante aux Beaux-Arts, jeune personne au caractère bien trempé. Au théâtre, on parlerait de « nature ». Une fille et deux garçons. L'auteure saura déjouer le piège, éviter de réécrire Jules et Jim ! Essai marqué : rien ne manque ni la vivacité ni la précision du trait ni l'art de peindre des caractères, celui de donner à voir et à entendre les mouvements secrets des personnages, en leur temps. Le personnage principal, l'invitée, irrigue de sa dure présence l'ensemble du texte, ici ni l'Histoire ni l'époque : l'invitée, c'est la mort. Sous son signe, dans son ombre. Le statut d'orphelin avait condamné Jérôme, qui le jalousait un peu, à devenir l'ami de Quentin pour cette rare raison que lui, Jérôme, ne possédait pas encore de mort en propre. Destiné à mourir jeune, c'est lui-même qu'il pourchasse, poursuivant le père mort de son ami. Au plaisir de cette lecture, un seul bémol, enfin à mon plaisir, d'autres peut-être en jugeront autrement, l'inutile imbrication d'un second motif qui alourdit surtout vers la fin considérablement la lecture et déporte la concentration, oblitérant l'émotion naturelle vers laquelle inclinait le livre. Le reproche paraîtra d'importance, puisque le titre, déjà symboliste, invite au labyrinthe littéraire, hélas aussi à l'exercice. Néanmoins le lecteur oubliera vite ce temps perdu à démêler l'écheveau narratif pour ne garder en mémoire que l'essentiel de son bonheur, la justesse des caractères, l'aura des personnages.


Sylvaine Arrivé, agrégée de lettres, a sans doute craint que l'impression de "déjà lu" n'indispose son lecteur et aura souhaité donner un son plus neuf aux mots de la vie. Mauvaise pioche. Texte irradié par la terrible et trop familière déesse, le lecteur se trouvait bien, qui n'attendait que l'identité du mort, dévoilée, subreptice, à la dernière page. Serait-ce Demoiselle, la jeune sœur un peu évaporée, l'indomptable Millie, peintre de paravents ; le fragile Jérôme, futur agrégé de Lettres classiques ou le mystérieux Quentin, aspirant à la haute charge de psychiatre, qu'elle choisirait ? Ceci suffisait. Sylvaine Arrivé excelle à peindre ces âmes et ces corps à la recherche d'un sens même provisoire à offrir à l'existence, ces cœurs à prendre en attente du Grantamour qui durerait toujours, comme elle sait conter l'ennui et l'exaltation d'avoir vingt ans et les états d'âmes versatiles comme météo de mars, en un mot les plaisirs et les jours, cette succession de rêves tantôt stupides tantôt générationnels, roses, bleus ou noirs selon l'occasion, la saison. Souhaitons-lui de se faire d'avantage confiance et de n’encombrer plus sa prochaine demeure de pièces inutiles !


En impatience donc de lire son prochain roman et en souhaitant à celui-ci de rencontrer son public : tout lecteur dont le cœur a battu pour le Grand Meaulnes, pour l'Ami retrouvé, pour Notre Avant Guerre... pour ce vaste corpus de toujours qui, de près ou de loin, tient au roman d'apprentissage. Plume alerte, intelligence en mouvement, humour toujours en embuscade, Sylvaine Arrivé n'ennuie jamais. Mieux, elle s'entend, rare prodige, à faire entendre nous, en tous les beaux endroits où ses héros murmurent je et ose, rare mérite encore, s'aventurer au pays mystérieux. Suicide ou accident ? S'agit-il ici d'une peinture particulièrement subtile de la dépression, habilement camouflée en intérêt littéraire ? Le Couloir s'impose comme un hommage paradoxal à Saturne, une ode à la mélancolie dans un décor prosaïque. Il aurait suffit qu'un des personnage imposât sa nette et vive présence à … – n'attendez pas de moi que je spoile le roman – comme hier le Contrôleur des Poids et Mesures à la jeune Isabelle d'Intermezzo pour que le roman n'existât pas. Hélas pour le mort, dans les années 1970, nul ne songeait déjà plus à sauver quiconque, seulement déjà chacun ne cherchait que les Mots nécessaires à son propre récit !


Sarah Vajda  



Le Couloir, Sylvaine Arrivé, éditions Jacques Flament, juin 2015, 211 pages, 16 euros

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