Auguste Blanqui : « Rien de nouveau sous les soleils »

Avec la réédition de L’Éternité par les astres, le lecteur contemporain découvre une figure méconnue du socialisme français : Auguste Blanqui (1805-1881). Surnommé « l’Enfermé » – et pour cause, puisqu’à l’instar de Sade il vécut près de la moitié de son existence dans les geôles de régimes politiques successifs –, l’homme apparaît comme un révolutionnaire impénitent. Son activisme, qui ne subit aucune relâche malgré le poids des ans, dérangea aussi bien les réactionnaires que les libéraux et les progressistes.Prônant le recours à la violence armée, Blanqui incarna pour Marx un antipode aux tendances utopistes, donc idéalistes et propres à séduire les bourgeois. Le blanquisme croit en la dictature du prolétariat et en la lutte des classes comme moteur de changement de l’histoire. En cela, il est l’un des premiers communismes à la française, dans la filiation directe de celui de Babeuf à l’époque de la Révolution. C’est surtout une pensée qui ne fait jamais l’économie de l’action, en développant une véritable stratégie de la conjuration, de la prise d’armes, enfin du putsch. Blanqui en paiera physiquement les conséquences, en multirécidiviste multicondamné.

 

Durant son incarcération au Fort du Taureau en 1871, alors qu’il manque cruellement aux émeutiers de la Commune un leader tel que lui, Blanqui s’évade de sa cellule. Pas en en sciant les barreaux ni en soudoyant son gardien, mais en considérant la question de l’infinité de l’univers. Le texte qui en résulte est unique en son genre. Dégagé des contingences de l’époque, il apparaît comme une spéculation aux implications écrasantes.

 

On se souvient que Fontenelle s’était plu, deux siècles plus tôt, à décrire à quelque jolie aristocrate, la pluralité des mondes et de leurs putatifs habitants. L’exercice, déjà hautement relativiste quant à notre condition de minuscules mortels perdus dans les immensités, offrait la consolation de la badinerie sur le mode duquel il était mené. Blanqui creuse la brèche, il en potentialise la profondeur en la conjuguant à la vertigineuse dimension du temps et, ce faisant, il adopte un ton autrement pessimiste que celui de son prédécesseur libertin.

 

L’idée de Blanqui est que, notre univers étant limité dans sa composition par les cent corps simples qui constituent sa chimie élémentaire, l’infini ne peut en somme être peuplé que d’univers similaires au nôtre, mais juste différents dans les développements et les destinées qu’ils connaissent. Ainsi il est, dans un autre système solaire, une terre où Napoléon remporta la bataille de Waterloo. Une autre où Colomb ne foula jamais les rivages du Nouveau Monde. Une troisième où vous existez mais marié(e) à un(e) autre partenaire, ou affublé(e) d’une tare physique, ou déjà mort(e) depuis l’âge de douze ans… Et ainsi pour des milliards d’humanités parallèles, ignorant leurs existences mutuelles, soumises aux ramifications du hasard et aux conséquences des bifurcations empruntées, donc provoquées, par tout un chacun. On se rappelle l’expérience de Citizen Kane, passant entre deux miroirs de face et voyant sa silhouette se démultiplier. Blanqui se livre au même jeu, mais à dimension cosmique, et il pose la question de savoir si chaque reflet est conforme à son original.

 

Délire ? Sans conteste, et c’est justement cette proximité à l’irrationalité qui fonde la pureté de l’assertion de Blanqui. Car le penseur n’échafaude aucun système dans ces pages qui, passé leurs postulats scientifiques, donnent vite le tournis. Il émet plutôt une hypothèse, parfaitement invérifiable mais tout aussi parfaitement incontestable, dans la mesure où elle repose sur  l’indéfini de notre position dans le vide de l’espace. L’angoisse comme l’espoir peuvent cohabiter au sein de cette conception, qui ébauche la perspective de certains mondes où nous serions plus asservis, mais d’autres aussi où nous serions divinement libres.


Du fond de sa cellule, Blanqui se doutait-il qu’il entrouvrait l’une des portes de la perception qui allait fasciner à suite des dizaines d’écrivains de science-fiction, dystopistes et uchronistes de tout crin ? Et qu’il allait démontrer par l’indémontrable à quel point nous sommes finalement tous reclus dans l’infini ?

 

Frédéric Saenen

 

Auguste Blanqui, L’Éternité par les astres, Préface de Jacques Rancière, Les Impressions nouvelles, Collection « Réflexions faites », novembre 2012, 128 pages, 13 €.

 

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