"Déposer glaive et bouclier", le passé ne vous quitte jamais


Un auteur touche à tout

 

James Lee Burke est surtout connu pour sa série de romans autour de Dave Robicheaux, immortalisé sous les traits de Tommy Lee Jones par Bertrand Tavernier dans son film Dans la Brume électrique (une nouvelle vision confirme que l’acteur est prodigieux dans le rôle). Pour autant, Burke a commencé tôt sa carrière d’écrivain : publié en 1971, Déposer glaive et bouclier propose un tout autre type d’histoire : ici pas d’enquête ou de meurtre, juste un passé (qui ne passe pas, pour reprendre une expression galvaudée) qui remonte à la surface des choses.

 

Derrière le masque

 

Descendant d’une famille renommée, vétéran de la guerre de Corée, mariée à une femme superbe l’avocat Hack Holland a en apparence tout pour lui. A l’instar de son père autrefois, il est de surcroit sur le point de commencer une carrière politique sous les couleurs du parti Démocrate. La gloire l’attend… sauf que Hack se moque de la gloire. Il ne supporte pas les réceptions données en son honneur, se fâche avec le boss local, le sénateur Dowling, qui fait la pluie et le beau temps au Texas. Révoltés par le comportement irresponsable de Hack, son frère Bailey lui reproche son dilettantisme tandis que sa femme Verisa le méprise de plus en plus ouvertement. Pour tenir, Hack Holland boit de plus en plus de whiskey...

 

Un jour, il reçoit un appel d’un ancien camarade d’armée, d’origine mexicaine, emprisonné pour avoir fait grève. Hack Holland accepte de l’aider et met le doigt dans un double engrenage : le premier l’amènera à réaliser à quel point le système politico-judicaire du Texas est pourri et le second va ramener à la surface un passé enfoui : les souvenirs de sa captivité en Corée.

 

Changer de vie

 

Déposer glaive et bouclier, c’est avant tout l’histoire de la prise de conscience d’un homme qui va réaliser que sa vie ne peut plus continuer ainsi. En pleine spirale d’autodestruction, le personnage principal déteste la vie que le système lui a imposée. Le mot « système » renvoie ici à une époque de la société américaine, les années 1965-75,  dont ce roman donne un portrait fin et  violent. L’auteur montre une société texane, sudiste, fidèle à ses traditions, travaillé par le racisme -contre les noirs et les mexicains- et la corruption politique. Tout ce que le fameux « mouvement » des années 60 contestait…

 

Pourtant, Hack Holland va réussir à trouver sa voie en renouant finalement avec une certaine tradition, celle de l’esprit de révolte anarchiste qui animait ses ancêtres (tiens, Burke a d’ailleurs écrit un roman, Texas Rangers sur le premier d’entre eux, Son, chroniqué sur ce site). Plutôt atypique dans les années 70 si contestataires ! Car notre auteur, qui sera toujours critique de la société américaine, sera toujours un maverick, un indépendant difficile à classer selon nos critères européens. Mais peu importe car, dans Déposer glaive et bouclier, James Lee Burke fait déjà preuve de son aptitude pour les portraits psychologiques de héros tourmentés et de sa capacité à peindre un Sud déchiré par son  héritage. Un héritier de Faulkner et de Robert Penn Warren en somme, qu’il faut lire et relire.

 

 

Sylvain Bonnet

 

James Lee Burke, Déposer glaive et bouclier, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Olivier Deparis, Payot Rivages "thriller", octobre 2013, 304 pages, 21,50 €

2 commentaires

Sur cette période, je te conseille si tu ne l'as pas lu, Underworld USA de James Ellroy. Description nerveuse et passionnante sur une Amérique violente et un poil parano...

Lu: je confirme ton impression.