"Socialisme: la fin d'une histoire", entropie socialiste

Jérôme Grondeux, professeur d’Histoire contemporaine à Paris IV Sorbonne, s’est spécialisé dans l’étude de l’histoire politique. Il propose ici, sous un titre volontiers provocateur, une synthèse sur le mouvement socialiste, tant européen que français, ainsi qu’une interrogation sur son avenir dans un siècle où les défis paraissent nombreux.


Le mythe de la Révolution


Le socialisme - le mot apparaît d’abord en Italie avant d’être importé en France - est fils de la Révolution Française : la conjuration de Gracchus Babeuf fournit en effet un modèle et un ancêtre héroïsé pour toute une postérité d’idéologues et d’apprentis révolutionnaires épris de romantisme. Pour tous en Europe, il s’agit alors de reprendre l’œuvre de la révolution de 1789 et de 93, interrompue par Bonaparte.


Le socialisme avant le socialisme


Un des mérites de l’ouvrage est de souligner qu’il a existé un socialisme pré-marxiste, celui de Proudhon, mais pas seulement : on assiste dans les années 1830-1840 à un véritable printemps du ou plutôt des socialismes : celui de Fourier, de Prosper Enfantin et des phalanstères, celui de Saint Simon aussi. Ce que tous ces socialistes ont en commun est l’espérance que grâce à des travaux scientifiques, basés sur une approche économique et sociologique (on sent ici la postérité des lumières et de la raison), il sera possible de transformer la société en la rendant plus juste, surtout face à l’urgence sociale née de l’industrialisation.


1848 marque leur apogée ainsi que leur déclin brutal : si les socialistes sont aux premières loges, la révolution de février les poussent à l’exil (Louis Blanc) et l’avènement de Napoléon III - souverain qui aura une vraie politique sociale, n’était-il pas l’auteur de l’Extinction du paupérisme ? - en conduira d’autres à la prison. C’est le début aussi de l’essor du marxisme qui fournira une doctrine avec des fondements scientifiques (la lutte des classes comme moteur de l’histoire) et une espérance eschatologique (le grand soir avec l’arrivée au pouvoir de la classe ouvrière). Notons ici l’importance accordée à la dimension spirituelle du socialisme, au rôle de la foi, de la croyance dans un monde meilleur à construire - encore plus prégnanant dans le cas du communisme. Cet aspect religieux, souligné par l’auteur, paraît déterminant pour comprendre historiquement ce mouvement et son attrait, à la fois pour les masses et les intellectuels, dans une Europe façonnée par le christianisme. Le dernier tiers du 19e siècle voit la fondation des partis politiques  en Europe - la France en 1905- qui va maintenant voir l’idéal socialiste rencontrer le réel.


L’abandon d’un projet de transformation de la société


Or, non seulement ses succès électoraux grandissants sont venus se fracasser sur l’écueil de la Grande Guerre, mais survint octobre rouge. Dépassé sur sa gauche, l’idéal du socialisme a progressivement été dévoyé par le communisme - plus charmeur, plus générateur de rêve, tant que ses horreurs étaient cachées. De plus, au sein du mouvement socialiste s’est épanouie une tendance sociale-démocrate qui s’est emparée des idées de Beveridge et de Keynes - deux libéraux - pour instaurer des Etats-providences qui ont permis les succès électoraux de l’après-guerre et l’amélioration de la condition de la classe ouvrière - sauf en France où c’est le général de Gaulle qui a mené cette entreprise face à une SFIO gangrénée par la guerre d’Algérie et à une gauche intellectuelle parasitée par un marxisme doctrinaire et stérile. Avec ironie, remarquons que certains ancêtres de la social-démocratie sentent le soufre, comme Henri de Man, pour cause de collaboration avec les nazis : avoir raison trop tôt les avait-il rendu si amers ?


L’alternance de 1981 en France et l’épreuve du pouvoir ont converti les socialistes français, comme partout en Europe, à des politiques réformistes, voire « centristes » mais sans un congrès de Bad Godesberg[i] qui, de toute façon, serait arrivé trop tard face à la vague ultralibérale venue des Etats-Unis et à la chute du mur de Berlin. Grondeux souligne à juste titre que les socialistes se sont engouffrés dans une série de causes - des droits des femmes au mariage des homosexuels - pour pallier le vide idéologique et eschatologique qui est le leur. Un Jean-Luc Mélenchon, au fond, recherche la pureté des origines en créant le Parti de Gauche ; il tente d’apaiser son angoisse existentielle devant cet univers qu’il refuse de voir disparaître, même s’il n’est plus depuis longtemps. Pour l’auteur, le parti socialiste est désormais un parti comme un autre, « normalisé », après avoir perdu sa croyance messianique dans le grand soir. En fait, il a abandonné ses militants - en l’occurrence, ses croyants - à la réalité d’une économie mondialisée, sur laquelle ni le socialisme et ni les socialistes n’ont de prise.


En France, le candidat socialiste a gagné l’élection présidentielle de 2012. Il n’en demeure pas moins que ses propositions n’avaient plus rien à voir avec le programme commun négocié par François Mitterrand avec les communistes et les radicaux. Alors, le socialisme s’est-il finalement modernisé pour faire face à une époque plutôt que d’être dépassé par elle, ou bien peut-on parler de socialisme « dry », en référence à certaine boisson, qui aurait la couleur - rose, bien sûr - du socialisme, mais n’en aurait plus vraiment le goût ? En fait, allons plus loin que l’auteur : le parti socialiste est comme le parti radical des années 30 : son rôle historique est terminé. Reste des élus, des militants qui font comme si…


Voici en tout cas une synthèse claire, recommandée aux amateurs d’Histoire, aux étudiants et aux passionnés de politique.

 

Sylvain Bonnet

Jérôme Grondeux, Socialisme : la fin d’une histoire ?, Payot, mars 2012, 234 pages, 22€


[i] Le congrès de Bad Godesberg permit au parti allemand SPD de procéder à son aggiornamento en matière doctrinale et d’accepter d’autres sources idéologiques que le marxisme. Aucun équivalent pour le mouvement socialiste français, à part la déclaration de principes de 2008, adoptée sans réel débat…

1 commentaire

Un bouquin d'histoire  absolument passionnant, et remarquablement écrit, pour comprendre  les différences entre tous ces théoriciens raisonneurs qui ont tenté de nous faire croire que, passé le grand bain de sang initial, l'avenir serait radieux; que le genre humain n'aspirait en fait qu'à se passer de la propriété individuelle, des entreprises, du crédit bancaire, de la démocratie élective, et du fait national, (rien que ça!) et que tout cela était scientifiquement prouvé, donc incontestable.
La marche du monde depuis Marx a montré-avec force millions de morts, hélas- que  cela s'appelle prendre sa vessie pour une lanterne ( et se griller au passage, cf les scores  du PCF et NPA aux dernières élections).
Présentation objective, explications lumineuses et  style clair. Un bouquin à recommander à tout le monde, gauche, droite, et centre, pour savoir de quoi et à qui on parle.
Après, c'est affaire de choix et de convictions, voire de Foi....