"Le Deuxième Amour", tranches de vies selon Joseph Roth

Le Deuxième Amour
est un recueil de courtes nouvelles où Joseph Roth épingle la nostalgie. Autant de réminiscences dérisoires auxquelles on jetterait un regard amusé, comme pour éprouver ce pincement au cœur qui transforme l’amertume en sourire, avec la distance du poète et de celui qui pense que la mélancolie est un mal nécessaire.

« Les saints ça n’existe plus. Nous les avons supprimés ! »

Pourtant rien de profondément triste dans ces contes pour adultes. Au fond l’auteur semble ne rien regretter. Même si sa vie fut marquée par l’exil, la perte et l’attachement presque obsessionnel aux valeurs de l’Ancien Régime et aux traditions balayées par 14-18 (1), Joseph Roth nous livre ici des anecdotes presque légères, où la litote et l’antiphrase servent de tremplin à des considérations plus profondes, plus tragiques.

Car il faut savoir qui nous parle pour comprendre en transparence ce qu’implique un trou dans un manteau ou un prince déchu, au-delà d’un style elliptique et d’une esquisse de maître. Car se sont bien des esquisses, dont les courbes acérées semblent s’arrêter net, au milieu de nulle part ; on en voudrait à l'artiste d’aller plus loin, de gâcher cette sensation d’inachevé, en équilibre entre l’humour et le spleen, entre le détail et l’universel.

Dans l’univers de Roth, les enfants tiennent une place essentielle, de même que Drieu la Rochelle disait ne pas se référer au passé mais à la jeunesse, Joseph Roth se réfère à une sorte de bon sens de l’innocence qui fait préférer aux enfant les rois et les princesses plutôt que les douaniers.
Rien de plus parlant qu’un Saint-Nicolas, se faisant refuser à la frontière ou jeter par les concierges sous prétexte qu’il ressemble à un juif ou que les saints et les nobles aient été abolis, pour se représenter ce que pense l’auteur de la mise à mort de la monarchie, de la République de Weimar et de la montée du nazisme.

Dans l’univers de Roth il y a des lanternes magiques, qui rendent la réalité bien fade. Mais qu’importe, si les enfants peuvent encore adapter le rêve au réel ; les images qui nous hantent valent bien certaines déceptions.

Si Roth aime à tourner en dérision ces personnages, il est aussi le premier à se mettre en scène en proie à l’absurdité, lui faisant dire qu’il aurait envié l’homme qui se serait assis à côté de cette femme sublime mais, en l’occurrence, étant assis à côté d’elle, il ne peut plus se faire envie lui-même.

La plupart de ces personnages ne sont extraordinaires que parce que Roth prend la peine de se pencher sur eux à un moment clé, avant qu’ils ne retournent à leur médiocrité qui semble à la fois agacer l’auteur autant qu’elle le touche. Il avouera voyager au-dessus de ses moyens pour ne pas avoir à côtoyer la population des wagons troisième classe. 

Mais rien de profondément cruel ; Roth est en quelque sorte un professionnel dans l’art de faire d’un détail une histoire, aux dépens du détail lui-même. En homme curieux, la véritable cruauté reste pour lui l’indifférence, au point qu’il préférera la malédiction à la compassion feinte.

En fin de compte ce Deuxième amour qui n’est qu’un ersatz du premier et le catalyseur du troisième joue de la futilité sur un mode paradoxal. Roth fait de l’insignifiance la clé de voûte d’une époque qu’il s’attache à décrire pour ce qu’elle n’est plus, pour ce qu’elle a perdu et qui ne reviendra pas. Peut-être y a-t-il même chez Roth un plaisir masochiste de la perte.

Arnault Destal

(1) Pour plus d’indications biographiques, voir l'article consacré à Symptômes Viennois

Joseph Roth, Le Deuxième Amour, éditions du Rocher (Anatolia), octobre 2005, 101 pages, 14,90 euros
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