Annick Geille est écrivain, critique littéraire et journaliste. Elle rédige une rubrique mensuelle pour le journal Service Littéraire et dirige la Sélection en ligne du Salon littéraire. Elle vient de publier son onzième roman, Rien que la mer, aux éditions La Grande Ourse.

Marcela Iacub, Dominique Strauss-Kahn... la presse et l'édition prêts à tout pour sortir de la crise ?

Dans une tribune publiée par Le Monde, des éditrices, libraires et attachées de presse s’insurgent contre la parution par les éditions Stock du livre de Marcela Iacub Belle et Bête, tandis que Dominique Strauss-Kahn a obtenu réparation pour « atteinte à l’intimité de la vie privée ». Ces intellectuelles attaquent aussi Le Nouvel Observateur, qui a cautionné l’entreprise. « Éditeurs, journalistes, prêts à tout pour vendre du papier ? », demandent les signataires, rappelant que les éditions Stock ont « inscrit à leur catalogue Stefan Zweig, Virginia Woolf, Isaac Singer ».

 

Pour commencer, voyons les 5 meilleures ventes de livres en France, telles que publiées cette semaine par Livres-Hebdo

1) Un sentiment plus fort que la peur, Marc Levy

2) Fifty Shades, vol. 3, E.L. James

3) Fifty Shades », vol 1, E.L. James

4) Si c’était à refaire, Marc Levy

5) Dans mes yeux, Johnny Hallyday et Amanda Shters.

Sans commentaire… Bernard Frank affirmait que la littérature intéresse dix mille personnes en France, et encore. Aujourd’hui, combien d’entre elles achètent Stefan Zweig et Virginia Woolf ? Trois mille ? Moins ?

 

Voyons ensuite la situation de la presse dite papier. Elle bat de l’aile. Et parfois, agonise, telle la quotidienne. Libération a accusé en 2012 une baisse record de ses ventes kiosques de 31,79 %. La presse est prête à tout pour vendre du papier, rien n’y fait. Le Nouvel Observateur, comme l’ensemble de son « univers de concurrence », c’est-à-dire la presse hebdomadaire, voit chaque année s’éroder ses chiffres de ventes… Pas au point de fermer boutique pour se mettre en ligne, comme vient de le faire le géant Newsweek, deuxième hebdomadaire d’information générale aux États-Unis, dirigé par l’excellente Tina Brown. Avec sa non moins excellente équipe de journalistes, parmi les meilleurs du monde. Si les ventes étaient les seules à s’effondrer, les « bons » journalistes comme Tina Brown et ceux de l’Obs, épris de « bons » papiers, pourraient peut être survivre. Et garder leur emploi. Mais rien n’est moins sûr… Les recettes publicitaires, elles aussi ne cessent de diminuer.

 

C’est  dans l’économie catastrophique de l’édition et de la presse qu’il faut situer le « coup » éditorial et médiatique des éditions Stock et du Nouvel Obs. Si Le Nouvel Obs n’avait obtenu les bonnes feuilles du livre de Mme Iacub - sacrée commerçante ! - un autre hebdo les aurait publiées. Franz-Olivier Giesbert, directeur du Point, affirme être « contre  les unes populistes ». Certes… Mais FOG vit, comme tous les journalistes de France, l’œil rivé sur la courbe des ventes. Elles s’affaissent partout dès que le journal est sérieux, vertueux, normal. Malgré les bons articles. Les signatures. Les Unes polémiques et raffinées. Avec un peu de trash, les courbes remontent. Ne nous voilons pas les yeux.

 

De même, sans Johnny Hallyday signant un ouvrage écrit par une amie, la « soft pornographie » de E.L. James, ou les productions de Marc Levy, l’édition ces temps-ci rapporte des clopinettes. Les ouvrages dits de « littérature générale » - à de rares exceptions près - se vendent de moins en moins. L’édition exige donc des « coups ». La presse aussi. Ou alors elles meurent. De gauche ou de droite les « bons » hebdomadaires pleins de leurs seuls « bons » papiers, sont condamnés. « Dans cinq ou dix ans, vient de  déclarer le magnat de la presse Rupert Murdoch, qui a bâti son empire sur le papier, il ne sera plus économiquement viable d’imprimer des journaux. »

 

Ce pourquoi, en Californie, les élèves n’apprennent plus à écrire, l’écriture cursive devenant aussi périmée que les éditeurs « littéraires » et les « bons » magazines. Virginia Woolf ? John Updike ? Bernard Frank ? Mille exemplaires à tout casser. Les coupables ne sont pas les éditions Stock (ce serait trop beau, s’il n’y avait qu’un seul coupable !) ni Le Nouvel Observateur, ce serait trop simple. Les coupables ce sont tous ceux qui lisent en ligne. Vous, moi. Les signataires de la pétition. Les ventes papier plongent. Partout. Celles du Nouvel Observateur ont fortement augmenté cette semaine, prouvant que si tout le monde se plaint de l’affaire Iacub-DSK, avec son côté « caméra invisible » sous la jupe, tout le monde achète.

 

Les signataires de la pétition du « Monde » ont raison sur le fond, mais, il n’y pas d’avenir pour le fonds.Quant à Internet, loin de moi l’idée de l’attaquer, c’est une formidable invention. Nous changeons d’époque, et il y a de la casse. Il n’y a pas plus de morale à cette histoire qu’il n’y en a dans nos vies hâtives de lecteurs en ligne.

 

Annick Geille

 

Marcela Iacub, Belle et Bête, Stock, février 2013, 128 pages, 13,50 €

4 commentaires

Le constat est amer… mais lucide. La résistance contre la lecture en ligne et le livre numérique devra donc être armée… de coupe-papiers bien sûr ! Plus sérieusement, si j’entérine l’état des lieux dressé ici, j’ose espérer que Stefan Sweig et Virginia Woolf  totalisent plus de 3000 ventes à eux deux, autrement, il faudrait quitter le navire tout de suite, alors que nous avons encore quelques années devant nous avant le naufrage annoncé de la littérature… 

Enfin un vrai article sur cette "affaire". Car le problème n'est, en effet, pas dans le sujet du livre. Plutôt son traitement. Car la pièce littéraire demeure. Et sans ce buzz idiot le livre aurait certainement eu une autre vie.
Quant à répondre à Thierry, hélas oui, Woolf ne se vend plus. Ni la littérature de qualité d'ailleurs, collaborant aussi avec un éditeur je sais de quoi je parle... Mais l'on continue tout de même. Pour la beauté du geste.
Sans doute la liseuse sauvera-t-elle ce qui peut encore l'être. J'ai testé Proust sur celle d'Amazon qu'un ami m'a prêté. Passé le temps d'adaptation why not ? La qualité du texte fait très vite oublier le support. Donc Proust et Woolf demeureront dans le numérique. Pas certains que Marc Lévy y parviennent...

Et si c'était l'inverse? et si la vraie littérature n'avait rien à faire sur liseuse?  L'utilité suprême des ipad et autres liseuses serait plutôt  justement de nous débarrasser physiquement de la fausse littérature!

Pensez à tous ces bouquins énormes , lourds, et périssables,  ces pavés de l'été de 400 pages, tous ces Marc Levy, ces Christian Jacq que l'on donne aussitôt aux copines. Pensez à tous ces ouvrages trop liés à l'actualité pour être conservés en bibliothèque ( les manifestes politiques, les faits divers genre DSK, les temoignages  anecdotiques genre halliday , windows pour les nuls, etc...), toutes parutions que l'on n'a aucune envie de relire, et dont on ne sait plus quoi faire après.  L'édition fast-read, en quelque sorte. De la conso prête à jeter.

Les liseuses, en plus , ça sera parfait à l'avenir pour la presse, journaux et  magazines, (ça permet de ne garder que l'article qui vous a plu, en format texte) , ainsi que pour les parutions énormes et rapidement périmées (ikea, la redoute, annuaires et  indicateurs de chemins de fer) . Toute personne qui a fait le tri, une fois pas an des  catalogues de VPC ou d'agence de voyages accumulés sous la table basse du salon comprendra ce que je dis.

En contrepartie, on réserverait l'objet papier aux vrais livres, à la vraie littérature, à celle que l'on a envie de garder, de retrouver , celle que l'on n'oublie pas,  et que l'on  re-savoure avec bonheur plusieurs années après. Parce que la technologie, c'est bien, mais lire un livre sur Picasso ou lascaux , Guerre et Paix ou les mains d'Elsa en s'éclatant les yeux sur un petit écran blafard tout minable, eh bien,  c'est pas vraiment du plaisir.

Et comme ça, éditeurs et lecteurs, tout le monde serait content.

CQFD ! cher(e) Proutch