Jean Forton, La vraie vie est ailleurs : du Mauriac que se serait lâché !

Ce roman faillit ne jamais paraître : l’insuccès de l’auteur, Jean Forton (1930-1982), le relégua aux oubliettes après quelques romans mal appréciés, donc peu vendus. Ce n’est pourtant pas ce qu’on appelle un fond de tiroir, mais un ouvrage dense, qui évoque par moments – mais par moments seulement – un Mauriac qui se serait « lâché ». Il raconte la fascination du narrateur, Augustin Lajus, un ado mal poussé, pour une graine de vaurien et beau mec, Juredieu. Comparse : un grand flandrin violent, Cros. En toile de fond, un vieux toqué, Bérenger, qui fabrique des bombes selon le système D d’antan, et son ex-femme, Tante Cléo, « charpentée comme un lutteur de foire » et sans poitrine. Un couple pittoresque, jadis porté sur « la chose » (la description d’une partouze de Bérenger n’a rien de la tisane).

 

L’essentiel, c’est l’ascendant du beau Juredieu sur Lajus, qui ne vit que par lui, qui ne sait courir les filles que par lui et qui dérive ainsi de Charybde en Scylla : petits casses, brutalités, délits à répétition, exploits déjantés. Quelques séances foireuses avec des filles. La seule femme convenable, Vinca, est inaccessible.

 

Pourquoi la « vraie vie » serait-elle ailleurs ? C’est un discours de Bérenger qui l’explique : parfois, le cafard vous ronge, l’impression qu’on a raté sa vie. Noyer sa rancœur dans l’alcool ? Mouais. Battre sa femme ? Bof. Non, le remède est de tout faire sauter : « Les femmes qui n’ont pas voulu de moi… Et celles qui m’ont accueilli, ces pétasses… Ces vérolées… Et la marmaille… Et les vieux… Et les culs-terreux… Et les genre ministre… Alors vlan…broum…Je les extermine… » Bref, Bérenger est nihiliste. La vraie vie, c’est ça. Notons que Marguerite Duras n’a pas encore écrit « Détruire, dit-elle. »

 

Nous ne gâcherons pas le plaisir du lecteur, mais la fin de Juredieu est bien trouvée. Ce sera aussi celle de l’envie de vivre de Lajus.

 

Un roman russe qui se passe dans la province française, bien avant l’avènement de Fesse-bouc et des jeux vidéo. Ça laisse un goût fort. Vous ne connaissez pas Forton ? Et alors ?

 

Gerald Messadié

 

Jean Forton, La vraie vie est ailleurs, Le Dilettante, novembre 2012, 317 pages, 19 €

 

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