Redécouvrir Mori Ôgai

Les contours de l’existence de Mori Ôgai (1862-1922) épousent ceux de l’ère du Meiji, qui fut pour le Japon celle d’un développement économique et culturel sans précédent. En quelques décennies à peine, les cadres traditionnels de l’Empire du Soleil Levant allaient se voir bouleversés et une société modernisée, marquée principalement par une ouverture à l’influence occidentale, allait en émerger.

 

Mori Ôgai sera partie prenante de cette aventure civilisationnelle. Attaché au Ministère de la Défense, il mena une brillante carrière de médecin des armées, doublée d’une activité intellectuelle débordante. Esprit curieux de tout, grand voyageur, il séjourna longuement sur le Vieux Continent, principalement en Allemagne. C’est d’ailleurs ce pays qui lui inspira sa première nouvelle importante, teintée de souvenirs personnels et dans laquelle il relate la douloureuse idylle entre un étudiant japonais et une danseuse berlinoise issue d’une classe modeste.

 

Mais son talent éclatera avec Le Jeune homme, récit dans la droite ligne du « Bildungsroman » où se mêlent les découvertes livresques, les amitiés turbulentes et l’éveil aux émois amoureux. Koizumi Jun.ichi arrive de sa province à Tokyo dans l’espoir d’y rencontrer M. Oîshi, écrivain qu’il admire. Bien reçu par ce solitaire qui a pourtant la réputation d’être revêche et expéditif, Jun.ichi se verra introduit dans un milieu qu’il ne s’attendait pas à fréquenter et dont il va appréhender les usages, les rivalités de clans et les codes. Une des scènes les plus intéressantes à ce propos est celle de la conférence donnée par le célèbre Fuseki, derrière lequel se cache Natsume Soseki, l’autre figure littéraire majeure de l’époque.

 

À travers cette histoire parfois prévisible mais toujours touchante, apparaît l’immense érudition de Mori Ôgai. En effet, de nombreuses pages constituent autant de petits essais sur le théâtre, la philosophie ou le roman européens. Et notre auteur est informé, puisqu’il ne se contente pas d’en évoquer les personnalités saillantes, telles Nietzche ou Ibsen ; il en explore également des zones moins conventionnelles pour l’époque, notamment les grandes plumes belges (Maeterlinck, Verhaeren ou Lemonnier). Ses connaissances approfondies sur des idées ou des productions artistiques antipodaires prouvent à elles seules la largeur de vue de Mori Ôgai. Il n’est pas trop tard pour lui rendre la pareille.

 

Frédéric Saenen

 

Mori Ôgai, Le Jeune homme, Editions du Rocher, mai 2006, Série japonaise, 255 pages., 19 € et La Danseuse, Editions du Rocher, mai 2006, Collection « Nouvelle », 90 pages, 7,5 €

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