Lénor de Récondo : Amours, plutôt que point...

On est toujours triste, en tant que chroniqueur (vous aurez remarqué que je n'ose jamais dire « critique littéraire »), lorsqu'on lit le dernier roman d'une auteure dont on a beaucoup apprécié le pénultième et que, tout contrit, on doit avouer que le puîné n'arrive pas à la cheville du précédent.

Justifions ici l'usage des adjectifs « pénultième », et « puîné », puisque nos lectrices, de ce côté-ci du web, sont toutes agrégées de grammaire ou lexicologues : oui, Madame B., je sais que « pénultième » signifie : avant-dernier. Et certes, Mademoiselle de G., le paragraphe ci-dessus veut dire que j'espère qu'un troisième roman de Léonor de Récondo paraîtra un jour et que sans nul doute j'aurai le loisir d'en dire du bien, mais que pour l'instant, son dernier roman publié, donc le puîné, ne m'a pas autant plu que son premier : Amours.

Cette fois, notre belle violoniste baroque très talentueuse âgée de quarante-et-un an et vivant à Paris (merci à l'éditrice!) nous propose une mince tranche de vie d'un couple, Solange et Laurent, chez qui la découverte d'un cheveu blond fait basculer le quotidien dans un chaos presque amusant : car le cheveu blond que ramasse Solange (oui, Madame C., il y a là une allitération, et c'est fait exprès) n'est pas un cheveu de la maîtresse de Laurent : il ne trompe pas son épouse ; mais il s'agit de son cheveu à lui, ou plutôt de sa perruque, lorsqu'en travesti il devient Mathilda.

« On ne naît pas femme, on le devient » est une citation bien connue qui prend ici un tout autre sens. Laurent est une femme. Il le dit à son épouse, à son fils, que cela révulse, à sa fille, qui le comprend.

Tragédie. Laurent va choisir d'être physiquement femme, ce qui suppose l'aide d'une association, la sollicitude d'une amie transsexuelle, des visites aux psychiatres, et bien sûr le travail endocrinologique, l'éclosion des seins, et autres contraintes.

Déjà peu précis – lieu, époque, décors -, le roman devient alors flou : l'auteure se concentre sur le fétichisme de Laurent en ce qui concerne la soie et les sous-vêtements féminins, ce qui est fort bien, mais en se focalisant sur les seins, en oublie que l'essentiel, pour Laurent, sera de perdre sa verge, ici élégamment appelée « bitedelaurent » par son épouse éplorée. La haine du transsexuel pour son corps, et en premier la haine du pénis, l'inquiétude de Laurent vis-à-vis de l'opération prochaine..., et tant d'autres données qui nous auraient peut-être fasciné(e)s, tout ceci passe à la trappe !

Alors que l'auteure nous promettait un voyage à Bruxelles en Thalys, mais sans terroristes ni héros américains, voici que brusquement le roman s'arrête ! Fin. Circulez, y'a rien à voir.

Ceci nous étonne, car l'impudeur salutaire du texte nous laissait espérer qu'ayant parlé des seins qui naissent, l'auteure nous décrirait un vagin qui s'ouvre, une renaissance, un nouveau départ. Hélas non ! Trop de « douceur », trop de « soie », beaucoup de détails du quotidien sans intérêt : le bruit du « frigo américain qui pile sa glace »..., et pire : une immense ignorance de la souffrance du transsexuel qui, des années durant, après les quolibets et les humiliations, doit surtout affronter une opération de modification du corps. Cette souffrance, cette perte, cette reconquête, ne sera ici que brièvement évoquée, dans les projets du personnage principal, mais ce que l'on retient, c'est qu'il / elle aime la soie et aime son corps.

Or un transsexuel n'aime pas son corps. Discutez avec l'une de ces futures femmes, elle vous dira la peur de l'opération, la haine qu'elle a conçue à l'égard de son pénis depuis sa plus tendre enfance, les pièges des associations, la jalousie vis-à-vis des personnes déjà opérées, la tentation de la prostitution, et tant d'autres choses tristes et terribles.

Ici, tout est suave, vite troussé, interrompu, et nous ne croyons que rarement aux tribulations de Laurent / Mathilda / Lauren. Fut-ce trop vite écrit ?

Si donc, par un navrant hasard de vos choix en librairies, vous n'avez jamais lu Amours, le premier roman de Léonor de Récondo paru en 2015, bondissez dessus, dégustez-le : c'est un chef-d'œuvre.

Bertrand du Chambon

Léonor de Récondo, Point cardinal, Sabine Wespieser éditeur, août 2017, 224 pages. 20 €.

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