Sutures et coupures de Corinne Valton

Corinne Valton est une styliste particulière. Elle concrétise ce qu’écrit Bernard Noël : C'est en défaisant qu'on fait. Ses nouvelles cependant offrent moins des déconstructions que des transformations du monde à travers ses nouvelles souvent drôles. Les personnages sont parfois reliés d’un texte à l’autre selon divers rapports par accrocs, jointures, coutures. En ce sens l’auteur  lutte contre la ressemblance à "façon" (pour parler couture) et par voie de conséquence contre nos constructions mentales. 
Au réel, la jeune créatrice  propose ses nécessaires césures et hiatus. Le concept d’imaginaire y trouve un nouvel essor. Les personnages y sont autant entravés que libres en des histoires dégingandées. Contre les simples apparences des jeux de surface du quotidien la profondeur prend droit de citer. Surgissent des achèvements paradoxaux par effet de béances. Tout est transmutation vers d’iconoclastes béatitudes.
Au besoin le réel s’érotise en absence de corps - l’inverse est vrai aussi.  Chaque nouvelle montre par dessous ce qui est fomenté en dessus. Le concept de détricotage des apparences n’a donc plus besoin de traités théoriques : une nouvelle suffit.  Dans chaque nouvelle la compacité du tissu du réel s’ajoure, crée le clair, le transversable. Les pères, les mères et leurs enfants en perdent les deux premiers leurs racines les autres leurs repères. Il y va d'un dégorgement dans de sacrés manèges et ménages.
L’écriture est altière, drôle, vive car Corinne Valton est surdouée. On l’attend dans un registre plus long – à savoir le roman. Mais chaque nouvelle est déjà une aventure où se tend la passerelle enchantée – parfois - capable de franchir l'abîme de l'évidence. Les personnages ne cultivent par forcément une modalité  de déclarations d’amour géométriques mais  l’ubiquité diaphane d’échanges crée un jeu plein d’humour entre la noirceur du monde et une certaine solarité.
À des visions spirituelles se joignent bien des tensions Corinne Valton s’y fait couseuse et découpeuse d’étranges centres de gravité. Nous voici faisant corps avec une œuvre saisissante et son onde de choc. S’ensuivent une résonance inédite de sourds jaillissements  lumineux au sein des bidules, des machins que représentent les choses de la vie et les vicissitudes du quotidien. C’est du pur plaisir farci de clin d’œil et d’attention à l’humain trop (ou pas assez ?) humain.

Jean-Paul Gavard-Perret

Corinne Valton, Pendant que les mulots s'envolent , Paul & Mike, juin 2019, 190 p.-, 13€

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