Blanche, comme la Revue

« Blanche », bien sûr, évoque souvent pour nous autres littéraires une célèbre collection ; dorénavant, nous n'aurons plus aucune excuse : « Blanche » aussi devrait nous rappeler la célèbre revue lancée par Thadée Natanson et ses frères, qui entre 1889 et 1903, osa publier de futures célébrités certes – Rémy de Gourmont, Stéphane Mallarmé, Marcel Proust, Paul Valéry – mais encore d'illustres inconnus, méconnus, auteurs rares et injustement oubliés : Paul Leclercq, Lucien Muhlfeld, John-Antoine Nau, voire même l'ahurissant Zo d'Axa (Alphonse Galland), prosateur anarchiste et chroniqueur fugitif, poursuivi par diverses polices, qui fut arrêté à Jaffa (Empire Ottoman), libéré vite, et visiteur de Paterson (New-Jersey), capitale mondiale de l'anarchie : « On y prépare un régicide comme à Pithiviers un pâté. »

Plus de 400 pages nous permettent de découvrir ces auteurs insolents, qui ne suivaient aucune consigne, sauf peut-être celle de se montrer intelligents. Derrière eux, veillant aux destinées de la Revue Blanche, Natanson et sa sublime épouse, Misia (qui naquit Misia Godebska, devint Misia Natanson, puis Misia Edwards, puis Misia Sert), dont Jean Cocteau nous rappelle, dans ses notes pour Thomas l'imposteur, qu'elle fit carrosser par Saoutchik (encore inconnu alors) ses quatorze Rolls-Royce en ambulance pour les envoyer sur le front en 1915 avec un convoi de la Croix-Rouge – oui, dans Thomas l'imposteur, la princesse de Bormes, c'est elle ! - Misia donc, sur qui nous n'avons que bien peu de documents (sauf le livre de Gold et Fizdale bien sûr), mais dont l'ombre plane sur cette magnifique Revue Blanche...


Ah, comme les gens du Musée d'Orsay sont condamnables, d'avoir monté une exposition « Misia Reine de Paris » avec le Musée Bonnard du Cannet ! Exposition incomplète, manquant cruellement de documents, mais au cours de laquelle, tout de même, nous pûmes voir d'authentiques numéros de la Revue Blanche.

Toujours ça de pris !


Et aujourd'hui, depuis octobre 2012, nous pouvons lire les articles extraordinaires de Blum, Gide, Jarry, Mallarmé, Muhlfeld, Proust, Renard, tant d'autres... Et Gustave Kahn, défendant Verlaine contre les injures d'un policier !


Béni soit l'excellent travail de MM. Olivier Barrot et Pascal Ory, qui présentent et annotent tout cela. On les connaît tout deux pour le sérieux et la qualité de leurs travaux, et leur panégyrique n'est plus à faire. Rappelons cependant que nous avons encore en France quelques chercheurs de haut niveau, qui ne sont pas tous partis enseigner à McGill ou à Princeton. Mentionnons que la Sorbonne abrite encore quelques génies. Et lisons la Revue Blanche, qui fait grand bien.


Bertrand du Chambon


Olivier Barrot et Pascal Ory, La Revue Blanche. Histoire, anthologie, portraits  (1889-1903), La Table Ronde, octobre 2012, collection « La Petite Vermillon », 452 pages. 10,20 €.


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