Le malentendu : Mathieu Lindon

Mathieu Lindon ne cesse de changer ses stratégies littéraires tout en cultivant ses fondamentaux. Le déplacement s’enracine dès le début du livre là où l’écriture n’est ni une autofiction ni une histoire à proprement parler.
Mais une sorte de malentendu : "Tout à coup, il n’y comprend rien et c’est une conquête. C’est ça, la vie ? Il l’avait entrevue différemment. C’est ça, l’amour, le travail, la vie en société, la société ? Il y a eu la révolution pendant la nuit, l’humain a changé du tout au tout ? Il ne comprend pas pourquoi il ne comprend plus ce qu’il comprenait sans problème, sans blessure. Tout à coup, c’est une force, il n’y comprend rien."
A partir de là tout est possible, la forme se débonde sous divers régimes.

Au lieu de créer un corpus homogène Lindon juxtapose et mêle flux de conscience, dialogue théâtral, apologue, poème ; essai philosophique. La pensée se construit à mesure que les formes se déploient et cheminent au moment où l’écriture regagne en ambition par rapport aux derniers livres de l’auteur.
Chaque moment et genre au sein du texte définissent des creux, des vides qui prennent valeur d’aura. Le roman passe de l'endroit où tout se laisse dire dans un espace où tout se perd, proche d'un chaos, proche d'un pur insaisissable, comme si le plus dur à affronter n'était pas la mort d’une certaine idée de la fiction mais une naissance à réinventer là où se dessine l'indécidabilité de l'existence ou de l'inexistence, elle scande encore une sorte de chant en creux qui vient casser la vacance totale.
Peu à peu Lindon d’approche d’un nouveau modèle qui pourrait peut-être un jour se coaguler en ce que Montaigne inventa avec ses Essais.
Il est urgent d’attendre pour comprendre jusqu’où Lindon va mener les siens.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

Mathieu Lindon, Rages de chêne, rages de roseau, P.O.L éditeur, janvier 2018, 556 p., 24,9 euros

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