Le rire de Valère Novarina
Dans cette pièce – et à l’épreuve d’une telle masse tonitruante, d’une telle danse, d’un flot d’images – nous entendons mieux car nous ne voyons plus rien de véritablement connu. Nous plongeons dans l’abîme, pas n’importe lequel, celui – portable – qui nous habite. Celui de notre propre langage en dérive. Novarina nous fait passer fait passer de l’illusion subie à l’illusion exhibée. De l’extrême compacité du verbiage naît ce qui éclaire, délie, vide et remplit.
Existe soudain une condition littorale du langage en tant que lieu des extrêmes, des bords et surtout des débordements. Et le travail de l’auteur ouvre au vrai temps de la fable où tout s’inscrit en dehors du sens.
Cette pièce devient un rite de passage où tout s’inverse. Nous entrons dans le trouble des mots donc dans le nôtre là où le sens est laissé en plan mais pour toucher à une autre profondeur, épaisseur. Novarina est le géomètre des profondeurs, des gargouillis et autres phénomènes angoissants (car inconnus) mais qui soudain prêtent à rire. Nous rions alors non de nous-mêmes mais nous rions nous-mêmes car soudain nos repères échappent (et c’est pourquoi ce rire est si important et si tragique à la fois). De profundis clamavi, ce rire arrache à la figure du monde reconnu nos certitudes et nos logiciels d’interprétations.
Jean-Paul Gavard-Perret
Valère Novarina, Les personnages de la pensée, P.O.L, novembre 2023, 288 p.-, 18€
0 commentaire