Les tarabustes de Pascal Quignard

Pièce maîtresse de la littérature française contemporaine, ô combien snobé, alors que le Nobel aurait plutôt dû se porter vers lui, Pascal Quignard est un puriste du mot juste, un érudit qui ne vit que pour et par les mots. Chacun de ses livres est une odyssée, et chaque parution devrait donner lieu à des fêtes magnifiques mais c’est plutôt un silence assourdissant qui accompagne ces naissances. Tant pis, les critiques ne sont pas connues pour aimer l’effort et le copier/coller est si facile. De là à penser que le public qui suit comme mouton de Panurge boude aussi son plaisir, il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas car si vous êtes ici, en train de lire cet article-là, justement, c’est bien parce que vous ne suivez pas le courant général et que vous ne vous êtes pas ennuyé à la lecture de Villa Amalia, ni à la projection du film éponyme ; ou la découverte de cette fameuse Terrasse à Rome, et de son DVD.

 

Nous voici donc avec un nouveau livre qui n’a rien d’une simple poésie (malgré sa présentation dans la mythique collection de Gallimard) mais qui regroupe une traduction d’une pièce mémorable de la tragédie grecque, et une suite d’aphorismes, de réflexions, d’essais, de récits... bref tout un ensemble de choses magnifiques mais totalement inclassables. D’où sa présence, ici, dans cette rubrique.

Pascal Quignard ose le postulat que son lectorat est ouvert, instruit, curieux : il l’embarque alors avec lui dans un voyage sans but apparent mais totalement construit, car, au contraire de ce que l’on pourrait penser, l’idée n’est pas de se laisser porter, mais d’aller vers quelques évidences que l’on ne rencontre plus, ou plutôt que l’on voit s’en s’en rendre compte.

Avec poésie, certes, ces lignes sont écrites, mais dans une prosodie si imagée, pétillante, flamboyante et matérielle, nommant avec précision ce qui est, ce qui fut, que l’on doit bien se rendre à l’évidence : c’est un essai.

 

Une réflexion sur la pensée humaine qui s’étire, sur la parole qui joue dans le silence épuré à se mettre en mouvement pour mieux s’écrire, sur les voix qui flottent comme un dessin de Julius Pascin sur un carton de bière. Des souvenirs tel celui d’une rencontre avec Paul Auster qui se passionna pour la traduction de Lycophron parue dans L’Ephémère et qui rencontra Quignard au Rostand, près du jardin du Luxembourg... et fit de lui, sous l’étiquette P.Q., un personnage de son premier roman, traducteur de Lycophron (sic). Et quand ils se revinrent des années plus tard, dans un café de la Bastille, ils prirent un vers mais restèrent muets, incapables de se parler.


Souvent muet, d’ailleurs, Pascal Quignard, bien plus que Modiano dont on se souvient encore des difficultés qu’il avait rencontrées sur le plateau de France2, face à Bernard Pivot. Quignard écrit-il alors comme une gifle sur la joue ? Certainement tant ses mots précis touchent juste. Dans un souci de ton qui plairait à Jean Genet ("la cohérence est un devoir qui s’établit à partir du ton du livre") il lance un appel pur, à l’image de ce conditionnel dont Rilke use dans les Elégies de Duino du fin fond de sa détresse quand il se questionne sur qui serait à même de pouvoir entendre son cri, s’il lui venait à l’idée de crier...

 

Ecrire alors, comme un appel au secours, un cri silencieux, oui, seulement écrire car "Écrire constitue un second parler muet seul capable d’accéder au dire plus vivant." Cette forme d’expression qui permet alors - et seulement - de déstériliser la parole collective que plus personne n’écoute voire ne comprend. Écrire pour laver les mots, densifier la langue, l’arracher aux journaux qui brûlent la raison, la libérer du caniveau qui la noie.

Oui, écrire car cela "fait aborder une voix antérieure sur une rive plus écartée des contemporains, plus extérieure aux murs de la cité, mais plus vivante, et même renaissante, à défaut d’être encore sociale."


Quignard a écrit des missiles sémantiques, des romans extraordinaires, des phrases d’utilité publiques, comme l’on dit des fondations qui œuvrent pour que l’humanité aille mieux.

Pascal Quignard a écrit pour vous.

S’il vous plaît, lisez-le !


François Xavier


Pascal Quignard, Lycophron et Zétès, Poésie/Gallimard n°456,  janvier 2010, 326 p. - 8,00 euros

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