Le patchwork littéral de Patrick Modiano

Est-ce un constat d’époque ou une confrontation avec la réalité (Patrick Modinao n’a plus vingt ans) qui porte l’écrivain à se pencher sur les troubles et autres réminiscences de la mémoire, cette fausse amie qui n’a de cesse de nous jouer des tours de cochon ? Le précédent ouvrage (qui vient de sortir en Folio) implicitement laissé libre de tout marquage – alors qu’ici roman figure bien sur la couverture – nous offrait une ballade dans les strates d’un hier nuageux et d’un passé à plusieurs niveaux de possibles.
Nous y revoilà, Patrick Modiano nous entraîne dans un jeu de miroirs dont les reflets n’auront de cesse de réveiller le chant des souvenirs – à la manière dont monsieur Hulot joue avec sa vitre pour envoyer le soleil faire chanter le canari de son voisin – afin de les stimuler voire de laisser penser à de sombres intrigues autour d’une jeune femme disparue.
On retrouve Jean – l’alias de Modiano – qui s’amuse quelques mois à jouer au détective privé pour un cabinet parisien. Il lui faut remonter la piste d’une certaine Noëlle partie sans laisser d’adresse, mais en oubliant ostensiblement sa carte postale bien en évidence, lui permettant de retirer son courrier. D’ailleurs, quand on a un appartement, à quoi cela sert-il de se faire envoyer son courrier en poste restante ? Quelque chose à cacher ? Quelqu’un à fuir ?

De chapitre en rencontres, d’imprévus en hasards, Jean tisse une histoire mais trop de blancs demeurent, et puis le métier de détective ne lui convient pas, il ira écrire puis étudier l’histoire, laquelle, vingt ans plus tard, le mènera à Rome sur les traces de Gaspard de la nuit, un drôle de photographe qui shoote la ville dans ses heures les plus sombres, dans un noir & blanc du plus bel effet… C’est alors que les pièces vont s’imbriquer subtilement, rendant le dernier chapitre implacable dans l’articulation finale du roman, lui imposant toute sa limpidité en repositionnant chaque pièce pour former ce tout immuable, incontournable sous la prose aérée d’un Modiano au plus fort de son style.

François Xavier

Patrick Modiano, Encre sympathique, Gallimard, octobre 2019, 140 p.-, 16 €
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