Les (nouveaux) faits de Philip Roth

Rien ne vaut une nouvelle interprétation pour s’emparer d’une œuvre aussi florissante et complexe que celle de Philip Roth, d’autant que sa langue subtile et son goût de l’analyse particulièrement pointue, participent à la quadrature du cercle devant laquelle tout traducteur de ses romans est confronté. Car traduire c'est une autre manière de discuter le texte dans une autre langue, et l'ajout d'une traduction supplémentaire enrichie le texte, lui offre une plus grande aura... un peu comme les interprétations infinies des textes sacrés offre au lecteur la possibilité de gagner en profondeur.

Dans la même idée qui conduisit Gallimard a retraduire l’Ulysse de Joyce – en lui redonnant un souffle et une puissance certainement plus proche de l’original en intégrant des adaptations plus modernes et un style adapté tout en conservant la particularité de l’écrivain irlandais – cette relecture d’une autobiographie romancée, décalée et totalement déjantée comme sait si bien (dé)construire Philip Roth dès lors qu’il s’agit de faire dérouler une possible lecture de sa vie transposée derrière un clone qui pourrait être lui sans y paraître lui laissant ainsi la possibilité de se draper dans un manteau de vertu pour mieux épingler les travers de sa communauté tout en déniant être celui qui aurait pu écrire cela tout en admettant que Zuckerman, c’est bien lui sans être son alter ego pour autant ; jeu des miroirs déformants à la foire littéraire du meilleur, avec ou sans tain, voici déformées, reformatées, modulées toutes les formes possibles d’un destin hors norme qui s’empara de la vie d’un petit garçon bien comme il faut, élevé au sein d’une famille de la classe moyenne inférieure, dans les faubourgs de Newark et qui allait devenir l’un des plus grands écrivains de sa génération, voire du siècle – laissant sans réponse la question de l’oubli que l’académie suédoise a persisté à pratiquer… car face à Bob Dylan, comment dire…
La Library of America (sorte de Pléiade américaine) le publia de son vivant, fait extrêmement rare – tout comme son homologue français le fit –, mais l’oubli du Nobel persistera.

Ayant arrêté d’écrire avant sa mort – comme José Saramago – jugeant qu’il n’avait plus rien à dire, et que tous ses livres n’en formaient qu’un seul, Philip Roth n’es[t] plus qu’un texte ambulant, comme le stigmatise Zuckerman dans sa lettre qui clôt cette autobiographie pas si fictive que ça puisqu’à elle toute seule elle regroupe tous les thèmes chers à Roth traités avec ce décalage et cet humour juif si précieux qui donnent ce vif plaisir de lecture… qui vous emportera autour de l’obsessionnel nœud autour duquel il tissa son œuvre : qu’est-ce qu’être Juif, Américain, auteur et par-dessus tout, être un homme ?

Servie par une ironie à plusieurs étages, la narration joue de la rhétorique et des symboles pour mieux approfondir la quête de réponses à des situations loufoques ou des positionnements délicats ; si bien qu’à la fin on ne sait toujours pas qui est réellement Philip Roth. Mais le sut-il un jour ? Rien n’est moins sûre… Sans se connaître, il se racontait pour tenter d’approcher un plus près ce Moi fuyant comme une savonnette dans une baignoire…

La mise en abyme est ici vertigineuse ! L’incipit est une lettre de Roth à son personnage, et l’envoi la réponse de Zuckerman qui renvoie l’auteur à ses chères études en mettant en doute son témoignage ; entre les deux l’autobiographie réinventée et l’on jubile à tenter de tirer le faux du vrai, on a l’impression d’être devant un bonimenteur qui vend ses produits et dont la maestria fait oublier le dessein tant l’on demeure fasciné par la maîtrise de la langue et le déroulement des faits dans un récit au cordeau…

François Xavier

 

Philip Roth, Les Faits – Autobiographie d’un romancier, (nouvelle traduction), traduit de l’anglais (États-Unis) par Josée Kamoun, Gallimard, juin 2020, 240 p. -, 19,50 €

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