Les mots étaient des loups

Bilingue français/arabe (Liban), Vénus Khoury-Ghata a très vite constaté que sa langue française s’imprégnait des tournures, des odeurs, des saveurs de la langue arabe si imagée et fleurie, parfois, si bien qu’elle n’a en rien tenté de modifier la mutation qui était en train de se jouer. Lecteur, nous voilà plongé dans un univers particulier baigné d’une étrange lumière, enveloppé d’un manteau invisible aux métaphores roulants sous la musique de la langue.

 

La Méditerranée sera donc présente tout au long de cette œuvre ; et tout comme notre Provence, le Liban aussi projette sur les Hommes sa foudre sèche et ses nuits sans lune où personne ne parvient à respirer tant la touffeur enserre les gorges et noud les esprits. Mais de ces nuits faite nuit, seule tout entière dévouée à la poésie, donc à l’appel à l’ailleurs, Vénus Khoury-Ghata fustige l’angoisse et réveille les espoirs.

Partie de cette maison des orties de son enfance vivre à Paris l’amour de sa vie, la poète n’en a pas pour autant renier sa culture, et la voilà, fière et fidèle, qui nous renvoie ce soleil lexical qui fait se demander où peuvent bien aller les arbres… N’oublions pas la parenthèse de l’Histoire qui ouvrit une plaie de quinze années pendant lesquelles les Libanais s’entretuèrent avec précision et raffinement, commettant les pires actions avec l’aide des Palestiniens, des Syriens, des Israéliens… tout ce petit monde libérant les vagues de Mal absolu dans ce périmètre oublié (Beyrouth) qui devint l’égout du monde. Alors Vénus Khoury-Ghata se demandait, devant son poste de télévision Comment pleurer dans une langue qui n’est plus la tienne / quel  nom donner aux murs non imprégnés de ta sueur.

 

Traductrice, aussi – notamment d’Adonis – Vénus Khoury-Ghata s’est toujours appliquée à donner à sa phrase française un rythme, voire une forme parente de la langue arabe : la voilà donc, comme Georges Schéhadé ou Andrée Chédid, « passeur » entre deux cultures, deux mondes à la fois si proches et si éloignés…

Pour relier ces « mondes perdus », la poète va puiser dans les origines et livrer un livre essentiel, publié en tirage limité par la Fondation Maeght et accompagné par Roberto Matta : portrait de ce premier homme qui portait une pierre autour du cou, qui devient un symbole d’espoir. Sentiment que l’on recouvre dans « Les obscurcis » qui montrent tout le savoir créatif de Vénus Khoury-Ghata dans la quête des mots qui, assemblés, forment un chant proche d’une nouvelle vision orphique, célébrant la création du monde : Soleil était le nom du premier coq.

 

Poète des lieux et des temps, Vénus Khoury-Ghata porte en elle une indéfectible croyance en la vie, au-delà de toutes les impossibilités et martèle que demain sera toujours mieux qu’hier, et quoique la maison des orties soit toujours sous l’ombre du deuil, l’actuelle demeure jouit des faveurs des dieux. Il faut donc en profiter…

 

François Xavier

 

Vénus Khoury-Ghata, Les mots étaient des loups – Poèmes choisis, préface de Pierre Brunel, Poésie/Gallimard, mars 2016, 288 p. – 7,20 €

Aucun commentaire pour ce contenu.