Ibn Zaydûn, "Pour l’amour de la Princesse" : l’un des plus grands poètes de l’Espagne musulmane

Abû l-Walîd AhmadIbn Zaydûn est né en 394. Soit en 1003 pour nous autres chrétiens. Dans une riche et aristocratique famille de Cordoue. Mais l’Histoire est déjà en marche. Le concept de l’Andalousie est en train de s’éteindre. Bientôt le califat umayyade - dont cette ville est la capitale - va disparaître. L’époque sera trouble. Elle va fournir à un ambitieux l’occasion de ce qui, avec la poésie, fera sa vie : la politique.
Tout d’abord bien en cour chez les nouveaux maîtres de Cordoue, les Jawahrides, Ibn Zaydûn se voit défait dans sa conquête par Ibn Abdûs, un rival en ambition ...et en amour. Car la belle Wallâda embrase les sens de tous ces messieurs.
Jeté en prison, il s’évade. Il parvient à rentrer en grâce et devient ambassadeur de Cordoue dans d’autres principautés d’Andalousie. Il ne peut refuser cette faveur tout en sachant qu’elle l’écarte une nouvelle fois. Il retourne sa veste et s’en va offrir ses services aux Abbâdides de Séville, qu’il aidera à se rendre maîtres de sa ville natale. Il suscite alors la jalousie du vizir-poète Abû Bakr Ibn Ammâr, qui le fait éloigner pour une mission à Séville. Il y mourra en 463, ou 1070, c’est selon.


Si l’on se souvient encore d’Ibn Zaydûn en 2009, ère chrétienne, ce n’est en rien pour ses prouesses politiques. Ni son sens de la diplomatie. Que non. C’est uniquement grâce à sa poésie. Et tout d’abord à ceux que lui inspirèrent ses amours orageuses avec Wallâda. Car elle n’était pas n’importe qui. Elle était la fille de l’avant-dernier calife umayyade. Et elle aussi, rompue à l’exercice de la poésie. Menant, dès ses seize printemps, après la mort de son père, une vie assez indépendante pour l’époque, elle devint d’ailleurs très vite célèbre par le salon où elle recevait écrivains et poètes. 

La rencontre avec Ibn Zaydûn marque le début d’une liaison passionnée et orageuse. Jusqu’à la rupture finale, quand Ibn Zaydûn part pour Séville. Cœur d’artichaut, Wallâda ira se consoler dans les bras de Ibn Addûs...


De toute la production poétique d’Ibn Zaydûn, où figurent nombre de pièces de circonstances, panégyriques, thrènes ou satires, la postérité n’a retenu que les vers qui font de lui un chantre de l’amour. Avec raison, semble-t-il. Car il est bien l’un des plus grands poètes de l’Espagne musulmane.

Trois thèmes, classiques et souvent croisés, se partagent cette poésie. Tout d’abord, l’exaltation de la bien-aimée et des joies de l’amour. Puis la protestation d’éternelle fidélité de l’amant. Avec sa symétrie, le reproche de froideur adressé à une complice par trop légère. Enfin, par petites touches, s’ajoute l’évocation nostalgique des lieux du bonheur, situés autour de quelques toponymes de l’espace cordouan.


De poème en poème s’égrène alors une inlassable litanie de l’amour. Au point de nous interroger. Comment se fait-il qu’il n’y ait même pas un poème évoquant une dispute ? Mais c’est bien le cas. Le poète andalou a brisé le mythe de l’ode du désert d’Arabie. Terminée l’époque où le poète se proclamait héraut de son peuple pour pallier ses désillusions. 

Mais la litanie servit par Ibn Zaydûn ne sera pas lassante. Car notre homme sait parfaitement varier le rythme de ses poèmes. Une diversité primordiale. D’autant plus qu’il ne faut pas oublier que ces vers pouvaient être chantés. Ainsi, si le long (tawîl) et le spacieux (basît) s’assurent la majorité parmi les mètres présentés, Ibn Zaydûn en utilise aussi, selon des proportions variables, huit autres. Soit un total de dix sur la quinzaine dont dispose le poète arabe. Un détail d’importance pour cette culture de l’oralité qui aidait singulièrement à renouveler le plaisir de l’auditeur.


Ibn Zaydûn avait aussi une autre manière de se jouer de la litanie. Il usait tantôt des pièces courtes, tantôt des plus amples. Soit du cri soit du lamento. Il exploitait alors au maximum les ressources morphologiques de l’arabe, passant, à partir d’une même racine, du sens propre à ses dérivés. Il opposait le clair et l’ambigu. Il faisait jaillir, sur le fond de la mélopée attendue, l’image unique, le vers ciselé qui résume le tout et l’exalte.

Autant de pièges pour le traducteur. Dans lesquels André Miquel n’est pas tombé. Même en tentant de faire rimer - lui aussi - en sa langue.


La voix d’Ibn Zaydûn acquiert ainsi sa place. Une place unique et singulière dans la littérature universelle de l’amour. Elle rejoint, à sa manière, toutes les autres. Qui pourraient se résumer dans ce "petit mot" que dit Tristan à Isolde pour magnifier ce qui les lie, elle et lui. Ce et. Tout simplement.


Annabelle Hautecontre


Ibn Zaydûn, Pour l’amour de la Princesse, poèmes choisis et traduits de l’arabe par André Miquel, coll. "La petite bibliothèque", Actes sud, janvier 2009, 118 p. - 15,00 €    

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anonymous

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