Ici la clarté par delà l’obscurité dans la poésie de Lucien Wasselin
Obscurément le cri visite l’ombre planante qui assombrit trop souvent nos vies, ternit nos envies, saborde nos désirs. Alors que cela ne tient qu’à un fil que tout bascule dans l’autre monde, celui des paillettes libérées du poids du remords, des contingences, de tous ces petits tracas quotidiens qui n’offrent rien. Oui, pourquoi ne pas oublier les métastases du mot amour / [qui] écrasent le souffle obscur dans la poitrine et demeurer heureux et calme / pour s’endormir définitivement / loin du cancer de la mort ? Car le temps aussi est obscur si l’on regarde sans cesse le calendrier, la douceur devient obscure tout comme le gémissement au pied de l’aubépine. En regard de l’obscurité du ciel [qui] se creuse […] nous ne terminerons jamais / notre chute / vers le centre / qui nous échappe… C’est impalpable cette poésie qui chatouille le ventre, c’est en mouvement sur les lisières de l’avenir, c’est avec nous que ce recueil avance dans le monde car dans la nuit froide les évidences se font lucioles. Le feu de ces mots-là nous réchauffera dans nos moments de glissement pour nous aider à nous relever car nous avons décidé / d’allumer le flambeau / dans l’obscure circonférence de notre esprit.
Voix obscure, recueil plus ancien, mais tout aussi foudroyant, recèle dans ses trois parties un jeu rhétorique sur l’innommable imposture : le souffle – instrument du possible –, la mort – l’envoi du livre de notre vie à tous –, et le sang – vecteur de vie, miroir de mort. Étreindre le lecteur dans le poème, l’inviter à respirer encore dans la fluidité du souffle du monde, y prendre part, s’y préserver pour mieux s’amuser des morts possibles. Ces plus belles des morts qui pourraient être de marcher dans le froid, s’empaler dans un camion, s’arrêter de marcher (par manque de souffle ?), s’oublier, se noyer… Dans une mare de sang, briser le barrage de la bouche / close sur la douleur blanche / de celui qui se refuse à hurler. Le scandale de l’horreur humaine jaillit des vers sans la moindre note complaisante. Mais il n’est pas pour autant question d’acceptation. Lucien Wasselin dit non à tout ce désordre et repeint l’ordre des choses de manière et déjouer la fatalité. C'est au poète de détourner l'attention et de repousser au loin l’inéluctable destin qui martèle ses desseins contre la vitre. Passe alors la bourrasque et demeure le poème.
François Xavier
Lucien Wasselin, Obscurément le cri / Dunkel der Schreil, Éditions En Forêt / Verlag Im Wald, coll. "Sources", avril 2011, 92 p. – 9,00 €
Lucien Wasselin, Voix obscure / Dunkle Stimme, Éditions En Forêt / Verlag Im Wald, coll. "Sources", mars 1999, 98 p. – 11,00 €
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