Jean Daniel Robert dans l’échancrure des mots

                   


 

Jean-Daniel Robert, « Amphorismes et autres fonds de vers », Editions de Douayeul, Douai, 60 p., 10 E.

 

L’aphorisme tel qu’il est décliné par le genevois J-D Robert en des suites d’anamorphoses lexicales et syntaxiques ne peut plus  rentrer dans un schème conceptuel de la tradition poétique. Il prouve qu’hors d’elle l’écriture garde fonction d’évènement par l’avènement de l’inattendu. Certes le livre commence doucement : dans la partie I (« L’œil insolite »)  les glissements se font sentir avec  une certaine retenue. Mais dès la partie II (« De ci, de là ») tout se débloque. Les particules élémentaires  du langage sortent de leur gangue. Contre tout retour massif de l'illusion expressive, le langage devient un symptôme impressif qui permet d'accéder à une autre logique. Il ne s'agit plus de décrire ou chanter des émotions mais de les déplacer par agression caractérisée aux coordonnées admises. Robert le détourne de son  fleuve tranquille. Le refus du mode lyrique et narratif permet l’arrivée de visions parfois drôles (« Ne pas confondre les muses inspiratrices et les aspiratrices m’usent »), parfois empreintes de gravité et qui dépassent la brièveté de l’aphorisme classique. Le texte multiplie  la disjonction des jointures et des liens du langage. Et la stratégie du fortuit  empêche paradoxalement  le langage de tomber du côté du factice, de la théâtralité. L'existence revient en atteignant les choses ou le néant que se cache derrière comme se cachent - vues de Coppet -  les belles italiennes dans « les trains blanc sale ou vieux vert ». La poésie reste le moyen de jouxter leur énigme. Comme les trains pour ces voyageuses, elle devient le petit accompagnement qui perdure en ses illusions et dont l’auteur nous rend complice.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

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