Lionel Bourg : régions poétiques et humaines

Aux prétentieux, à ceux qui croient voir le pôle Lionel Bourg offre sa dépolarisation farcesque dans une confrontation ou plutôt une entente apaisante avec les poètes et les paysages qui l'ont "fait" au fil du temps - des plateaux du Velay à la Haute Provence et ailleurs.

Ce livre recèle de beaux mystères en une lumière qui ne dilue pas de manière évasive les formes du passé. Au contraire. Sans jamais étirer le temps l'auteur révèle son sentiment d’être au monde en poète - entendons un être plus lucide et drôle que rêveur évanescent.

Il cultive autant l’art de la nuance que de l’abrupt et propose de faire palpiter de l’inconnu en ce que le verbe desserre ou resserre. L’exquise finesse (dans sa feinte de simplicité) de l'écriture cache bien des profondeurs. Lionel Bourg met à nu l’espace et celui qui normalement l’habite : il n’hésite pas non plus à souligner les harmonies : celle de Saint-John Perse, de Fondane ou des chansons de Piaf. Car toutes ne sont pas des chants du cygne mais des appels aux dérives et aux traversées.

L’oeuvre ne représente en rien un simple assoupissement des extrêmes mais à l’inverse leur exacerbation. C’est donc leur apparition nécessaire que proposent ces chansons pour sirènes. Grâce aux unes et aux autres le monde n’est ni bloqué dans l’évidence, ni enfoui dans le spectral : il s’ouvre, se profile autrement.
Il émerge en conséquence avec plus de relief et d’intensité puisqu’il est épousé - plus que découpé - en profondeur. Le tout dans un art poétique précis, précieux et drôle de la vibration des mots qui - par ses secousses et par l’exploration à laquelle ils nous soumettent - ouvrent à l’épaisseur du vivant.

 

Jouant sur la finesse et la pauvreté, misant et spéculant sur le presque effacement, prenant par revers la figuration, les explosions verbales de Bourg nous installent dans l'ailleurs de l'ici-même que nous voyons si mal et si peu.
L'auteur crée une trame ou plutôt une série de masses sonores et optiques. Elles nous dégagent des systèmes binaires, d’un expressionnisme psychologique (ou autre) de surface en créant des correspondances, des mouvements de «bandes» et de fonds.

La vibration poétique insolite, drôle et audacieuse parcourt l’être et le monde. Face à leur nuit, saillit soudain une étrange lumière. Celle de l'existence hydraté non du sang et des larmes des poètes mais de leur eau de vie. C'est aussi le pari aristocratique d'une poésie populaire faite de multiplicité d'apports et d'unité existentielle.

Jean-Paul Gavard-Perret

Lionel Bourg, Et des chansons pour les sirènes, Le Réalgar, avril 2019, 60 p.-, 6 €

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