"Un silence religieux", la gauche rattrapée par le réel



L'intellectuel

Actuel directeur du monde des livres, Jean Birnbaum s’était fait remarquer il y a quelques années avec un essai les anciens maoïstes,  Les Maoccidents, un conservatisme à la française où il se livrait à une analyse serrée de la gauche et de ses tourments en ce début de vingt et unième siècle. Jean Birnbaum représente pour beaucoup, déjà par son affiliation au Monde, l’archétype de l’intellectuel de gauche, incapable selon de faire face au réel et par exemple à l’actuelle montée de la question identitaire en France. Avec Un silence religieux, il sera désormais difficile de lui faire cette critique.

 

L’impensé religieux à gauche

 

Jean Birnbaum part du constat de l’incapacité de l’exécutif actuel à voir le lien entre l’Islam et le terrorisme islamiste. Rappelons-nous qu’au soir des attentats de Charlie Hebdo et dans les semaines qui ont suivi, chaque responsable politique a pris bien soin de distinguer Islam et islamistes, d’appeler à ne pas amalgamer les deux. Or, selon notre auteur, dire cela revient à nier que les terroristes se sont tous revendiqués de l’Islam et de sa loi et estiment se battre, de bonne foi, au nom de leur religion.

 

Notre auteur va plus loin dans son essai : il démontre que les intellectuels de gauche engagés aux côtés du FLN pendant la guerre d’Algérie n’ont pas voulu voir à l’époque la dimension religieuse du conflit (le chapitre génération FLN est édifiant). De plus, lorsque la Révolution iranienne se déclenche, de nombreux intellectuels (le cas de Michel Foucault, Jean Birnbaum le montre, est par contre plus complexe) ont minoré le fait religieux et ont préféré s’enthousiasmer pour une insurrection populaire visant un régime allié de l’impérialisme américain… la gueule de bois ne tarda pas à arriver.

 

Le retour du refoulé

 

Jean Birnbaum remonte à Marx pour identifier l’origine de ce blocage intellectuel. Une certaine vulgate a fait de lui un contempteur méprisant de la religion, ce qu’il n’était pas. Pourtant, Marx était hanté par la religion. Mais les intellectuels de gauche ont tiré de la lecture de Marx une habitude de minorer, sinon de mépriser, le fait religieux (alors que la pensée de Marx est à l’origine d’une religion séculière, exacte symétrique de la religion chrétienne). Un intellectuel de gauche pense le monde en fonction de la sociologie et de l’économie, voire en termes philosophiques : la religion n’est pas pour lui une idée qui guide le monde, ou du mois elle est vouée à disparaître avec le progrès.

 

Du coup, la gauche se retrouve embarrassé face à l’islamisme et au djihadisme (le récent essai d’Emmanuel Todd montre d’ailleurs jusqu’où cet embarras peut aller) et notre essayiste invite les intellectuels progressistes à redécouvrir religion et théologie afin de comprendre pourquoi de jeunes français partent mourir en Syrie ou reviennent massacrer des parisiens au nom d’Allah et de l’Oumma… Voici un livre essentiel, stimulant que je ne peux que vous recommander.

 

Sylvain Bonnet

 

Jean Birnbaum, Un silence religieux, Seuil, février 2016, 240 pages, 17 €

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