Le Pen, une histoire française

Une grande biographie politique

"Nous nous sommes efforcés en effet de décrire non seulement la trajectoire de Le Pen, mais aussi ce qu'il a produit dans la vie politique française." 

Le propos de Philippe Cohen et de Pierre Péan, qu'on ne pourra pas taxer de compagnons de route du frontisme, est d'examiner par le menu la trajectoire hors norme de Jean-Marie Le Pen, de sa naissance en 1928 à l'élection de 2012. Mais aussi, par cet angle, de rencontrer l'histoire d'une pense politique et des politiciens qui furent de l'aventure (les anciens d'Occident Gérard Longuet, Alain Madelin...), qui ne jugèrent pas inutiles les alliances partisanes (Philippe Léotard, VGE, le RPR...) ou qui furent adversaires politiques immédiats (Simone Veil, Philippe Séguin). Les mentalités évoluent, et les idées frontistes aussi : elles évoluent parce qu'elles changent avec les mutations mondiales mais aussi parce qu'elles sont de plus en plus assimilées, ce que d'aucuns appellent la "lepénisation" des esprits : force est d'admettre que certains propos choquants il y a 20 ans sont reproduits de nos jours sans coup férir et que, d'un autre côté, si Le Pen avait osé un "le bruit et les odeurs" c'eût été une mobilisation bien plus importante (médiatique et judiciaire) que n'a eut à subir Jacques Chirac. O tempora o mores !

Zoon politikon

Ouvrant un à un les "dossiers", la création du Front national sur une base d'anciens de l'Algérie française, la "question" de la torture (les auteurs concluent pas la négative), la fusion avec les groupuscules comme Ordre Nouveau, l'héritage (sans malversation), les alliances, les auteurs portent un regard lucide et "neutre" (sauf dans les commentaires des photos, un rien ironiques), affirmant même : "Pas plus de jugement que de préjugé, pour résumer notre ligne". Ils se placent à mi chemin des ouvrages à charge et des hagiographies, ils regardent les faits et ne sont jamais tendre pour Le Pen, montrant notamment comment il a laissé faire tout le travail de création des réseaux et d'investissement du terrain local par Jean-Pierre Stirbois pour n'apparaître qu'au moment où le Front national avait une réelle audience. Le Pen a préféré, après ses déboires auprès de Poujade ou de Tixier-Vignancourt, après les querelles intestines à la droite nationale (il est jugé ringard et trop "américain" par les tenants d'Ordre nouveau), s'occuper de la Serp, sa maison d'édition phonographique, et suivre la politique de loin. Mais c'est un combattant, aussi revient-il payer de sa personne et surtout calmer les ardeurs de ses seconds - comme il aura souvent à le faire - pour affirmer sa main mise sur le parti. 

Point central de la vie du Front national, François Mitterrand, qui va comprendre qu'instrumentaliser cette droite décomplexée avant l'heure va lui permettre de conserver son pouvoir en appliquant la devise du diviser pour régner. Ce que tentera plus tard de faire le RPR en soutenant le "puputsch" de Bruno Mégret en 1998, mais sans le même succès. Mitterrand va institutionnaliser le Front national, lui donner une assise et pour ainsi dire une légitimité, qu'il ne perdra plus.

A signaler également, en invité surprise, une leçon donnée aux journalistes avec lesquels nos auteurs ne sont pas tendres. Ils fustigent tous ceux qui ont voulu un jour "se payer" Le Pen et qui s'y sont cassé les dents, car trop dogmatique ou pas assez armés pour. Cette stigmatisation, dont certains se sont fait les champions, a conduit à nombre de procès, que Jean-Marie Le Pen n'a jamais perdu sur le font, mais les journalistes se cachent pour la plupart derrière leur "bonne fois" qui plaît aux juges et leur évite la condamnation... 

Fondé sur un travail minutieux d'archiviste et sur d'innombrables entretiens (avec Jean-Marie Le Pen, mais aussi son entourage proche et beaucoup d'anciens, deux pages pleines de remerciements), cette vie en politique montre qu'on peut aborder le sujet Le Pen sans tomber dans l'insulte ou les quolibets et que le parcours politique de Jean-Marie Le Pen sous-tend l'évolution de toute la deuxième moitié du XXe siècle.

Qu'on le veuille ou non, qu'on entende ou non ses discours, force est d'admettre que Jean-Marie Le Pen restera sans aucun doute comme l'un des plus "grands" de la politique, une des dernières figures auquel le livre rend justice : sous ses nombreux travers, Jean-Marie Le Pen demeure un animal politique hors du commun, tenant la scène plusieurs heures sans note, faisant face aux tenants de l'establishment, créant à chaque fois la surprise et rebondissant après chaque nouvel échec comme si rien ne pouvait le faire dévier de son cap. Il y a peu de figures à ce point "animée" dans le paysage politique français !

Loïc Di Stefano

Philippe Cohen et Pierre Péan, Le Pen, une histoire française, Robert Laffont, novembre 2012, 2 cahiers inocographiques, index, 534 pages, 23 eur

10 commentaires

Cette bio, importante, souffre cependant de certains défauts, dont une mise en perspective idéologique: quel est le fond idéologique du front national? Les auteurs semblent penser par exemple que Le Pen n'est pas un antisémite forcené, mais quid des militants? Pour en avoir personnellement entendu déblatérer sur les complots du b'nai brith, cela aurait mérité une analyse plus poussée je pense.

La vie et les pensées des adhérents n'est pas le sujet de ce livre, mais le parcours d'un homme

Je ne sépare pas le parcours de l'homme du Parti qu'il a fondé.


 

Mais tu n'es pas l'auteur de cet ouvrage

Toi non plus de mémoire. Et comme je l'ai lu, j'ai le droit  de dire ce qui, selon moi, manque.

ça ne manque pas puisque c'est hors du sujet voulu par les auteurs !

Oui ben c'est justement une erreur selon moi! je persiste et je signe! c'est certainement un des travers de la biographie d'ailleurs.


 

"...le parcours politique de Jean-Marie Le Pen sous-tend l'évolution de toute la deuxième moitié du XXe siècle."

Je vois dans cette phrase toute la vérité de Jean-Marie Le Pen et du Front National : un parti réactionnaire au sein premier du terme, à savoir un parti qui réagit, et certainement pas un parti de propositions. Jean-Marie Le Pen a selon moi bâti sa carrière en réagissant aux évènements plus qu'en les anticipant (le nombre d'attaques de ces seconds contre lui en est l'une des preuves). Animal politique dans le sens où, comme un Mitterrand, un Chirac ou un Sarkozy, il sait se relever de ses échecs, aucun doute. Quant à mettre de côté l'antisémitisme larvé sur lequel s'appuie le courant originel, porté par Jean-Marie Le Pen, c'est faire preuve au choix de mauvaise foi ou tout simplement de mémoire sélective : la non-réaction quasi-unanime de la presse durant la campagne présidentielle 2012 lors de la tenue du Banquet des Mille montre la première victoire de Le Pen et du Front National : l'inculture absolue et le manque de perspective historique de notre presse. Et quand la presse ne réagit pas, et quand l'éducation est dans l'état dans lequel nous la connaissons en France, je ne vois pas ici une pénétration des idées du Front National dans la société française, mais bien une incapacité et un abandon de la scène par les autres du champ historique et politique. Dans une société de l'instant comme la nôtre, peu importe l'idée finalement, l'important reste d'occuper l'espace. En cela, Jean-Marie Le Pen a compris comment le faire et sait le faire. De là à parler des qualités d'un homme et de l'acceptation de ses idées... c'est effectivement faire pleinement partie de notre société, à savoir, comme nous tous, manquer de repères.

"Dans une société de l'instant comme la nôtre, peu importe l'idée finalement, l'important reste d'occuper l'espace."
En effet! La remarque s'applique parfaitement à d'innombrables hommes et femmes politiques de tous bords, de Dati à Mélanchon en passant par Kader Arif , Villepin ou  Montebourg, qui confondent allègrement les moyens avec les fins, et à qui leur image tient lieu d'idées.  Il faut dire qu'ils s'entourent tous de conseillers en communication, mercenaires qui ne croient en rien qu'en leurs primes, et  dont le vrai métier est au départ de ventre des yaourts ou des voitures. Ces zozos  appliquent à la politique  les méthodes marketing devenues classiques de saturation du consommateur : il n'y a plus de place pour la réflexion, l'image a pris la place.

Bien évidemment,  ils sont aidés dans cette entreprise de lobotomisation collective par les média, dont les ventes s'effondrent dès que le débat devient un peu profond, et qui privilégient donc les faux scoops, les photos-choc, et les raccourcis clavier abusifs ou réducteurs .
Ce qui serait anecdotique si  la presse, plus profondément, ne  confondait pas elle-même tweeter avec le suffrage universel, et ne considérait pas le chiffre de ses ventes comme une avancée démocratique majeure.

Cela dit, je pnse que les biographies d'hommes politiques ou d'artistes ne peuvent se faire de leur vivant, en leur demandant leur avis : elle les font inévitablement rentrer dans la légende , comme Mickael Jackson, ou dans l'histoire, comme Mitterrand. Ce qui est souvent injustifié.