"Coupables" de Ferdinand von Schirach ou l'humanité du crime

Ferdinand von Schirach est avocat de la défense à Berlin depuis plus de quinze ans. Coupables est son deuxième livre traduit en France. Il s'agit comme le premier, Crimes, d'un recueil composé de récits très courts qui évoquent une quinzaine d'affaire criminelles - viols, tentative d'homicide, meurtres, etc. - avec lesquelles von Schirarch a eu affaire de près, et souvent en tant que défenseur du ou des accusés.


Il est toujours difficile de faire la part des choses entre sa fascination pour le récit de destins qui font fausse route et la valeur réelle du texte que l'on lit. Le sujet est parfois si fort, si captivant que l'on en oublie la forme. Plus qu'un style, il y a un ton, chez von Schirach - ce qui n'est déjà pas si mal -, un dépit murmuré que l'on suspecte, qui s'imprime en creux. Les histoires qu'il nous relatent sont édifiantes, elles nous disent qu'il est impossible de rendre la justice mais au mieux seulement d'appliquer le droit.


Ainsi, on découvre comment de braves hommes violent une jeune serveuse lors d'une fête. La jeune fille sera incapable de reconnaître les coupables parmi la bande, et tous, sur les conseils de leur avocat, resteront muets. Aucun ne sera condamné. C'était la première affaire du narrateur, de quoi tout de suite bien comprendre comment fonctionne la justice...


Comment un couple ayant commis un meurtre, presque en état de légitime défense, se voit interpelé 19 ans après les faits, alors qu'ils étaient parvenus, ensemble, à se sortir de leur vie de misère. Ils se suicideront.


Von Schirach ne dénonce pas le fonctionnement de l'appareil judiciaire. Il est fataliste. La justice est amorale comme ceux qu'elle doit juger, et qui ont perdu, souvent un court moment, leurs repères moraux, qui ont mis le doigt dans un engrenage dont ils ne suspectaient pas la force d'entraînement. Au final, il y a toujours quelqu'un pour payer la faute, pas forcément pour la racheter.


La force de ces textes réside en cela justement qu'ils nous permettent grâce au talent de l'auteur de donner l'absolution ou de vouer aux gémonies les uns et les autres – et pas forcément les accusés - dans le silence de la lecture, sans conséquence pour eux. On ouvre le dossier classé et on se fait juge sans nous embarrasser de procédures. Von Schirach nous donne à lire l'essentiel de ces affaires : leur humanité nue, et quand le droit a oublié qu'il y avait des êtres bien vivants en face de lui, on peut laisser s'exprimer toute notre compassion ; nous n'avons que cela à offrir. L'auteur sait quelle est la vérité même s'il ne la scande pas. Et, il a profondément confiance en son lecteur pour savoir qu'il est capable de la deviner et de la partager avec lui. La vérité de ces âmes coupables à qui nous offrons le Purgatoire.



Philippe Menestret


Ferdinand von Schirach, Coupables, Gallimard, « Du monte entier », traduction de Pierre Malherbet, août 2012, 192 pages, 17,90 €

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