La fresque déroutante d’un univers sorti du temps : « La Loi des mages » de Henry Lion Oldie

Voilà un livre que j'ai attendu avec impatience et que je me retrouve bien en peine de recenser. Je m'explique. Sous le pseudonyme de Henri Lion Oldie se cachent deux auteurs ukrainiens (Oleg Ladypensti et Dimitri Gromov) quasi inconnus en France et pourtant précédés d'une réputation des plus flatteuses parmi les amateurs de fantaisy et/ou de fantastique russes. Titulaires de nombreux prix littéraire de dimensions nationale et internationale, ils sont déjà à la tête d'une œuvre comptant à ma connaissance une trentaine de livres – mais il se peut fort qu'il y en ait bien davantage – allant du récit aux cycles de plusieurs romans. Jusqu'à la publication de La Loi des mages chez Mnémos, le lecteur francophone devait se tourner vers les Québécois des Éditions Kéruss, qui ont publié quatre de leurs romans en 2007 et 2008, et quelques revues (Lunatiques n°69, Galaxies n°11) ainsi qu’une anthologie (Dimension Russie aux éditions Rivière Blanche) pour cinq de leurs nouvelles. Autrement dit, l’accès à l’oeuvre de Henry Lion Oldie n’était guère aisé, et l’entreprise des éditions Mnémos aussi méritoire que hardie. N’ayant de mon côté jamais rien lu de ces auteurs, j’étais particulièrement curieux d’entrer dans La Loi des mages.

Le lecteur y suivra les aventures de deux mages, Rachka la Princesse, dite la Dame de Carreau, et de Drouts, l’amateur de chevaux, dit le Valet de Pique, assignés à résidence dans un village perdu, après avoir connu le bagne et la déportation. Très vite néanmoins, ils sont la cible de différents poursuivants, ce qui les oblige à fuir en compagnie de deux filleuls totalement néophytes, Fédor Sokhatch et Aza-Akoulina, destinés désormais à devenir mages. Ce sera l’occasion d’un périple à travers une Russie rappelant celle du XIXe siècle. Ou plus précisément celle de la littérature du XIXe et du XXe siècles.


Autant dire que la matière est riche et foisonnante, et l’univers à la fois étrange et très familier, où l’on reconnaît une mythologie littéraire et cinématographique russe : les cabarets, les tziganes, les joueurs, les buveurs, la souffrance physique portée à son paroxysme… Le tout servi par une narration inspirée, dotée d’un souffle réel. De façon inédite à ma connaissance, les chapitres font alterner les destinataires du narrateur, qui s’adresse tantôt à Drouts, tantôt à Rachka, puis les narrateurs eux-mêmes (Akoulina vs Fédor). De cette manière, les mages deviennent des personnages aussi mystérieux qu’attachants.


La contrepartie de cette écriture, c’est que la matière est ardue, parfois difficile à suivre, cela non seulement en raison de l’accumulation des images, mais également suite à des choix éditoriaux qui font obstacle à la fluidité de la lecture (non traduction des realia typiques, passages en langue rom…). Par ailleurs, si la traduction témoigne d’une grande connaissance de la langue et de la littérature russes, sa lisibilité en français laisse trop souvent à désirer, le texte confinant parfois à l’incompréhensible. Voyons par exemple : « Pourquoi alors ne pas manger si le responsable suivant pour le Tribunal suprême s’est présenté, responsable de nos graves péchés? Nous sommes à présents tous purs, innocents – voilà pourquoi l’amnistie » (p. 205). Ou encore: « Pour changer la signification de la carte, il suffit de la frotter contre la table, en recourbant la fibre à l’envers. Pour les siècles des siècles, la nuit noire se trouvait sur la face invisible de la Carte Satinée tournée vers un clairvoyant condamné. Si l’on réussissait à réorienter la fibre du fantôme en sens inverse, une image apparaissait » (p. 290)…


Bref, en refermant La Loi des mages, le lecteur reste sur sa faim et perplexe. Si le livre lui semble receler en effet une richesse indéniable, sans doute sa version française aurait-elle dû être remaniée pour lui permettre d’accéder vraiment au texte et de décider si, oui ou non, il allait attendre avec impatience la parution en français d’un autre opus des deux Ukrainiens.

 

Henry Lion Oldie, La Loi des mages, traduit du russe par Viktoriya et Patrice Lajoye, Éditions Mnémos, tome 1, octobre 2011, 348 pages, 22 euros ; tome 2, février 2012, 352 pages, 22,50 euros    

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