La petite gamberge de Robert Giraud

La réédition d’un livre de Robert Giraud, c’est toujours une bonne nouvelle. Le Dilettante, déjà pourvoyeur de plusieurs titres du maître, nous ressert La Petite Gamberge, récit d’aventures plutôt louches d’une brochette de trimardeurs « Made in Paris », qui, comme on s’en doute, traversent la ville en tous sens pour en donner un à leur vie. Normal, Paris c’est la capitale des bistrots du monde entier. Et il fait soif, toujours, dans les pages de Giraud, qui sait de quoi il retourne. Les rades plutôt crades de la Mouffe (tard) ou de la Sainte-Geneviève (tôt) étaient son terrain d’élection. Cinquième arrondissement, métro Maubert. C’est là qu’il entraîna son ami Doisneau à travailler sur le motif entre deux petites côtes (rouge tempéré ou frais, selon) ; c’est là qu’il fixa sous ses pattes d’entomologiste les papillons de nuit qui peuplent ses bouquins.

 

Ce roman noir, qui aurait dû s’appeler Les voleurs de lapins, raconte l’aventure de baltringues, voleurs de banlieue mal vus par les caïds, qui, appuyés au zinc de La Bonne Treille, préparent un mauvais coup. Cinq gorilles, dont Bouboule, qui soulève les poids et haltères sur les places, le Manchot, qui a fait connaissance avec le premier dans une Centrale après avoir fait ses classes chez les monte-en-l’air déguisés en déménageurs. S’ajoute la Douleur, véritable gravure ambulante de la souffrance […] pleurant les peines des autres pour oublier les siennes. N’oublions pas Roger, devenu truand pour se venger de ses semblables, qui a tatoué cette devise qui vaut pour ses camarades : Mauvaise tête mais bon cœur. Le dernier, c’est Pierrot la Tenaille, qui vous écrase les doigts de la main en guise de salut. Lui, son exploit, c’est de faire dans tous les bistrots une belle guirlande de verres éclusés debout. L’intrigue est on ne peut plus simple : Roger se fait poisser à la Bastille lors au début du casse, tandis que ses copains de petite truanderie se font la malle. Qui paiera l’ardoise ? On vous laisse le plaisir de tourner les pages du roman noir, sombre à souhait, et plus encore.

 

Ce n’est pas tant l’histoire qui retient le lecteur, que cet inimitable style d’un hibou à l’œil perçant – sorte de Rétif de la Bretonne des années cinquante – toujours attentif au détail qui fait mouche. Les « Nouveaux Mystères de Paris » – un tiers Léo Malet (1909-1996) sans Burma, un tiers Albert Vidalie (1913-1971), auteur des Bijoutiers du clair de lune, un tiers Jacques Yonnet (1915-1974), l’éternel complice de Giraud dans l’exploration de la jungle de Paname. Coquetelle détonnant ! On se prend à rêver à cette ville où les quais de Seine n’étaient pas encore une plage ni une autoroute, où la modération n’était pas encore au programme. Pas plus que l’état dit « d’urgence ». Bref, Paris, comme disait l’autre, était une fête, pas toujours drôle, mais une fête ! Santé !       

 

Frédéric Chef

 

Robert Giraud, La Petite Gamberge, préface d’Olivier Bailly, Le Dilettante, octobre 2016, 176 pages, 17 €

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